Le roi se meurt d'Olivier Kaspar (impressions)
Par Patrick Loiseleur le mercredi 16 avril 2008, 20:06 - Opéra - Lien permanent
Voici mes impressions Le roi se meurt un opéra en un acte d'Olivier Kaspar. Je n'ai pas pu m'empêcher d'établir une comparaison avec l'Autre Côté de Bruno Mantovani, entendu il y a un mois à la cité de la musique, et qui m'avait plutôt déçu.
Soulignons d'abord que les créations sont devenues aujourd'hui excessivement rares dans le domaine de l'Opéra: à l'époque où le Palais Garnier a été construit, le public parisien entendait chaque année des oeuvres nouvelles d'Auber, Meyerber, Adam, Berlioz, Bizet, Gounod, Gossec, Chabrier, Massé, Cherubini, Massenet, Lalo, Delibes et j'en oublie. Tous ces opéras ne sont pas passés à la postérité mais ils étaient adaptés au goût d'un public et d'une époque. A l'image de l'Opéra de Paris, si les maisons d'opéra aujourd'hui sont audacieuses en ce qui concerne la mise en scène, elles prennent très peu de risques avec la musique en pratiquant les créations au compte-goutte.
Tout cela explique en partie le choix d'Olivier Kaspar d'écrire un opéra de poche
avec douze instrumentistes et cinq chanteurs. Le choix du livret correspond merveilleusement bien à ce projet car Le roi se meurt raconte le drame de univers qui se rétrécit autour du roi Béranger, à qui on a annonce dès son entrée en scène qu'il mourra à la fin de la pièce. Première différence avec l'opéra de Mantovani: la qualité du livret.
Dès l'introduction, avec une fanfare
un peu déglinguée jouée par 3 clarinettes, le ton est donné. Ridicule du pathétique ou pathétique du ridicule, à vous de choisir. Entrent le garde (François Lilamand, ténor), le médecin du roi (Eric Beillevaire, basse), puis ses deux épouses (Marie-Eve Gouin et Christine Craipeau). Cependant c'est seulement lorsque le roi Béranger (Jacques L'oiseleur des Longchamps, baryton) entre en scène, pieds nus, robe rouge, regard halluciné, sceptre et couronne en carton-pâte, que le drame prend corps. Avec sa voix qui sait se montrer large comme un fleuve, puissante et autoritaire mais aussi fébrile ou craintive, sa présence sur scène, son égocentrisme absolu et désespéré (Qui veut donner sa vie pour moi ?
) il est la clé de cette tragi-comédie. La mise en scène et les lumières (Thierry Good), efficaces et sans fioritures, savent tirer le meilleur d'une salle modeste et de décors et costumes minimaux mais pas minimalistes. Un seul exemple: l'orgue qui occupe le mur du fond de la salle du CNR de Saint-Maur est caché par un immense drap blanc: à un moment, la scène étant plongé dans l'obscurité, il est éclairé par le côtés, ce qui lui donne un aspect fantomatique et inquiétant.
Poursuivons la comparaison avec la représentation de l'Autre Côté à la cité de la musique: pas de sur-titres mais les paroles sont parfaitement intelligibles. Cela tient autant à l'écriture vocale d'Olivier Kaspar qui respecte et la langue et les chanteurs qu'aux dimensions réduites de l'orchestre et de la salle qui leur permettent de passer
sans forcer et aussi d'explorer mieux toutes les nuances du pianissimo au fortissimo (lire aussi mes billets Une performance surhumaine et L'Autre côté). Cela tient aussi au travail de Kaspar chef d'orchestre pour équilibrer le tout. Bien sûr dans les quatuors vocaux, lorsque chacun chante des paroles différentes, on ne peut saisir tous les détails, mais l'ensemble reste très clair et intelligible. Autre différence avec Mantovani !
L'orchestre: quatre altos, deux violoncelles, une basse en forment le coeur; trois clarinettes (et une clarinette basse par moments) complètent le dispositif; un piano et un percussionniste apportent le soutien rythmique et harmonique qui évite à ce petit ensemble de montrer des couleurs trop uniformes et trop austères. Saluons la performance de Marie-Christine Witterkoer (alto solo), au timbre très doux et pur, qui répond souvent aux chanteurs. Tous les instruments sont solistes à vrai dire, même la contrebasse dont on entend parfois le timbre rond et feutré dans l'aigu, au-dessus des violoncelles...
L'écriture enfin: comme Olivier Kaspar le souligne dans la notice, Le Roi se meurt ne peut échapper au lyrisme, ne serait-ce qu'un lyrisme de convention voué à sombrer dans le ridicule. Avec des dissonance savamment dosées, une écriture qui met en valeur les instruments et les voix, un certain sens mélodique et rythmique, Kaspar arrive à créer une ambiance tout à fait dans l'esprit de la pièce. C'est un spectacle relativement court (une heure et demie) mais sans interruption, ce qui favorise l'immersion du spectateur. Et lorsqu'à la fin l'éclairage, l'orchestre, les voix, tout se réduit pour disparaître dans le silence et dans l'obscurité, on n'ose plus bouger ni respirer... le style d'Olivier Kaspar est contemporain mais sans brutalité, et il évite de chercher midi à quatorze heures. On ne saurait trop approuver sa démarche !
En conclusion, j'ai passé une excellente soirée, la meilleure depuis l'an dernier lorsque j'ai découvert Lady Macbeth de Mnensk de Chostakovitch. J'espère que cette belle production sera reprise dans d'autres salles ou pour des festivals.