``Une performance surhumaine''
Par Patrick Loiseleur le mardi 19 février 2008, 17:50 - Opéra - Lien permanent
Lu dans le Monde daté du 14 février, dans une interview de Roberto Alagna, parrain de l'opération Tous à l'Opéra! dont j'ai parlé dans ce journal:
Chanter aujourd'hui est devenu une performance surhumaine. Il y a d'abord la course aux décibels, des orchestres plus fournis, des salles plus grandes et même un public à l'écoute moins fine, habitué au bruit des villes et aux amplificateurs des Walkman. Et puis il y a les conditions de vie, les voyages, les avions, le stress des captations en direct, des transmissions sur Internet. C'est pour cela qu'on est tous sur les rotules physiquement, vocalement et psychologiquement.
Il ne faut guère s'étonner que de nombreux chanteurs préfèrent le répertoire baroque: des salles et des orchestres plus petits, avec des instruments moins puissants, accordés en général 1/2 ton plus bas. Des rôles qui valorisent la voix et la virtuosité vocale, sans êtres aussi longs et fatigants que ceux de Wagner ou Verdi.
Cependant, il y a mieux à faire que déterrer des opéras que Porpora ou Lully avaient composé il y a 3 siècles, parfois à la va-vite pour un public dont les goûts différaient profondément des nôtres. Comme s'il n'y avait pas de compositeurs vivants aujourd'hui ! A propos de compositeurs vivants, les parisiens pourront entendre deux opéras récents en version de concert:
- Elephant Man, de Laurent Petitgirard, par l'orchestre Colonne à la Salle Pleyel (ce soir)
Aucun de ces deux opéras n'a été créé à Paris, qui semble avoir définitivement perdu son statut de lieu privilégié de la création musicale qu'elle a occupé grosso modo de 1840 à 1940. Qu'importe ! Zurich, Strasbourg, Toulouse, Bruxelles ont pris le relais...
Commentaires
Tiens, c'est curieux : j'ai regardé "Elephant Man" l'autre jour à la télévision, et j'ai trouvé ça intéressant, mais très daté début XXème siècle, dans les choix d'orchestration...
Ah, j'avais manqué ça !
Petite question technique : est-il possible de produire des trolls sur son propre site ? :)
Parce que sur Lully, c'est un peu gros. Ca marche quand même, la preuve, je réagis.
(D'autant que c'est pas pour dire, mais question originalité - je ne dis pas complexité -, Lully est largement plus novateur que Laurent Petitgirard, qui écrit par ailleurs de la bonne musique... Et le sens de la déclamation est tout autre.)
Eh voilà, trop tard : je suis tombé dans le panneau.
Je peux dire aussi du bien de Porpora, tant que j'y suis ?
(Mon Dieu, les affreux souriards tout jaunes par défaut sont toujours activés.)
Non, je ne me plains pas tout le temps, pourquoi ?
(Parce que par ailleurs, beaucoup d'articles passionnants ici même...)
cher David, vous ne me ferez pas croire que tous les trucs déterrés par les baroqueux (qui appellent ça "première mondiale" comme si c'était une création) méritent 5 étoiles. Par exemple on a fait tout un pataquès avec "le Devin du village" de Rousseau qui ne casse tout même pas trois pattes à un canard, et qui aurait pu rester dans le poussiéreux tiroir ou il a attendu deux cents ans. J'y reviendrai sans doute plus longuement, mais le fait qu'on aille chercher ce répertoire est la preuve d'une grave crise de la création musicale.
On parle de première mondiale tout simplement parce que la plupart du temps, aucun être vivant ne l'a entendu. Mais c'est évidemment un abus de langage, moindre que l'attrape-nigaud de l'authenticité à mon avis.
Le Devin du village de Rousseau a toujours été décrit comme une oeuvre médiocre... On le joue parce que c'est du Rousseau. Au demeurant, l'oeuvre n'est pas du tout indigne dans l'esthétique qui est la sienne (celle de l'opéra comique de la fin du XVIIIe, du type Grétry).
Je ne vois pas du tout en quoi le fait qu'une oeuvre ait été passée de mode un temps, ou n'ait pas eu sa chance - c'est le cas, pour des raisons différentes, de Hjalmar Borgstrøm, Alma Schindler-Mahler ou Hans Rott, par exemple, qui sont des compositeurs majeurs - a un quelconque rapport avec leur qualité.
Lully est l'un des compositeurs qui a le mieux traité la déclamation française... On peut ne pas y trouver son compte, mais de là à juger ces oeuvres anecdotiques !
On ne jouait pas du tout non plus, il n'y a pas si longtemps, Meyerbeer, Reyer, Schreker... Faut-il vraiment considérer que Schreker est un machin qu'on exhume pour combler le vide ? A mon humble avis, Die Gezeichneten est une oeuvre infiniment plus aboutie que la Femme sans ombre de Strauss, si l'on reste peu ou prou dans la même esthétique.
Ensuite, oui, bien sûr, il y a d'autant plus de place pour le brassage du répertoire ancien qu'il n'y a pas beaucoup d'oeuvres récentes à s'être imposées. Parce que l'écriture contemporaine pose des difficultés incompatibles avec la voix humaine. Ou, dans d'autres cas, par ostracisme idéologique (les oeuvres de Daniel-Lesur, de Constant ou de Damase sont absentes des scènes...).
Mais cela ne signifie pas qu'on ne doive jouer que Tannhäuser et le Trouvère sous prétexte que l'histoire leur donnerait raison.
Bonne soirée ! :)
Il y a tant de choses dans votre commentaire que je ne saurais répondre de manière complète. Un mot sur Lully: je n'ai absolument rien contre ce compositeur !
Plus généralement: bien jouer l'oeuvre d'un compositeur, la faire découvrir au plus grand nombre, c'est le travail non pas d'une mais de plusieurs générations, comme le remarquait Hillary Hahn dans la pochette de son disque de concertos de Bach. Songeons que des intégrales discographiques de Bach ou Mozart n'existaient pas dans les années 1960. Comme certains amis me l'ont raconté, il fallait vraiment un portefeuille bien garni et une passion de collectionneur acharné pour arriver à se constituer une intégrale en 33 tours des cantates de Bach !
Les interprètes sont perpétuellement en quête de répertoire, et de répertoire nouveau. Depuis les années 1950, ils boudent la musique contemporaine jugée trop difficile et ingrate, et les compositeurs ont leur part de responsabilité dans cette situation. Mais que la "nouveauté" dans le répertoire se confonde avec l'exhumation des archives de quelque obscur organiste flamand ou espagnol du 17è siècle, ça me laisse perplexe.
Bonjour Patrick !
Oui, bien sûr, il y a des excès. Effectivement, je suis modérément convaincu par le culte autour de Biber et, pour la plupart de ses oeuvres, de Zelenka - ce qui ne les empêche pas, d'ailleurs, de produire l'une ou l'autre pépite.
Mais cet argument de la médiocrité de ce qui est oublié est trop souvent servi comme arme pour défendre le répertoire rebattu - qui ne fatigue donc ni les artistes ni le public.
Alors, partout et toujours : pas de trêve ! -<]:o)
Bonne journée !