jeudi 17 septembre 2009

Edith Canat de Chizy par l'ensemble Calliopée au Festival de Besançon le 18 septembre 2009

Le Festival de Besançon est surtout connu pour son concours de chefs d'orchestre mais c'est aussi l'occasion d'entendre de la musique vocale, de la musique de chambre et du contemporain. Aussi je vous invite à lire les interviews de l'atiste Karine Lethiec et de la compositrice Edith Canat de Chizy sur le site Concertclassic. L'originalité de l'ensemble Calliopée est de jouer autant de pièces contemporaines que d'oeuvres du répertoire. Cet équilibre entre création et valorisation du répertoire est ce que devraient rechercher tous les ensembles et tous les orchestres, mais il est en pratique assez rare. Nous en parlions tout récemment, les orchestres symphoniques sont plus proches d'une répartition 90-10 entre répertoire et musique actuelle avec des exceptions fort remarquables comme le philharmonique de Radio France ou celui de Liège. On reconnaît aussi le caractère de Karine Lethiec qui ne fait rien sans passion et n'a pas la langue dans sa poche lorsqu'elle déclare par exemple: "Edith a cette « passion instrumentale » qui rend sa musique extrêmement agréable à jouer. Elle est basée sur le geste, sur un confort de l’instrumentiste et elle est inspirée - ce qui n’est pas toujours le cas dans le répertoire contemporain"

La résidence à Besançon d'Edith Canat de Chizy a été fructueuse apparemment et ne se limite par à la musique de chambre car le festival permettra d'entendre trois de ses oeuvres pour orchestre en concert et d'enregistrer un disque pour aeon (ce qu'il faut saluer, les enregistrements d'oeuvres orchestrales se faisant plus rares aujourd'hui pour cause de crise du disque). L'occasion sans doute de mieux découvrir cette compositrice dont je n'ai entendu pour l'instant qu'une pièce pour alto et piano de caractère impressionniste, En Bleu et Or.

lundi 14 septembre 2009

Le jeu des programmes

Les salles comme les orchestres envoient leurs programme 2009-2010, un dépliant ou un petit livret par la poste pour les plus ringards, une newsletter en PDF pour les plus branchés. Il y a un petit jeu auquel on peut se livrer à chaque fois: faire des paris sur le nombre de compositeurs vivants, rapporté au nombre de compositeurs qui figurent sur le programme. C'est un jeu qui se joue seul ou à plusieurs (celui qui avait la meilleure estimation gagne). Dans les bons cas on arrive à 15%, comme à la Salle Pleyel (18 sur 117, parmi lesquels on trouve même des petits jeunes qui ont tout juste quarante ans, et ô merveille, deux compositrices). Mais le plus souvent on plafonne à un pour dix, comme dans le programme de l'Orchestre  National d'Île de France qui compte trois musiciens vivants (Graciane Finzi, Vladimir Cosma, Lucian-Cristofor Tugui) pour trente-et-un compositeurs au total.

Vous me direz que je ne regarde pas les bons programmes: certainement dans les salles qui proposent du jazz, de la variété, du rock, la proportion de musique vivante est beaucoup plus importante que dans celles qui sont dédiées au classique. Et l'inter-contemporain va encore aligner un nombre incroyable de créations, avec une qualité de jeu irréprochable pour rester fidèle à sa réputation. Tandis que du côté de Versailles, il ne faut rien attendre de passionnant question nouveautés, sauf bien sûr si on appelle création la première audition contemporaine d'un manuscrit poussiéreux et tombé dans un juste oubli depuis trois siècles.

Au total, 10 ou 15% c'est tout de même mieux que zéro. Ainsi donc, la prochaine fois qu'on sort le classique c'est de la musique écrite par des morts, vous pourrez répondre, preuves en  main: mais si, je vous jure, il y en a quelques-uns qui bougent encore !

dimanche 13 septembre 2009

Messiaen au paradis ... de la vidéo en ligne

La rédaction du Journal de Papageno ne ménage pas ses efforts pour vous proposer un blog différent avec un contenu original. Pour produire ce billet il a tout de même fallu:

  • écrire 50 pages de musique (120 si on ajoute les parties séparées)
  • réunir dix musiciens et un chef, organiser les répétitions
  • trouver un lieu de concert, rédiger des programmes, faire de la pub (merci Catherine !)
  • jouer les petites fanfares célestes en première mondiale
  • enregistrer et filmer le concert
  • terminer par un petit bout de montage vidéo

A part le premier et le dernier point, ma contribution au projet a été des plus limitées d'ailleurs. Je suis très reconnaissant aux musiciens de l'ensemble KABrass et à Xavier Saumon qui ont accueilli ce projet avec enthousiasme, et lorsque la partition est arrivée, ont toute de suite trouvé le ton mi-sérieux mi-ironique qui convenait à ce cycle et bravement affronté les difficultés techniques. Dans le numéro 3 notamment (Dialogues de l'Esprit), ils ont du notamment souffler sans produire de note, frapper l'embouchure du trombone avec la paume, boucher l'embouchure des trombones avec la main (pour produire un son qui se rapproche de celui du cor), et même se mettre à la percussion en laissant la trompette pour le wood-block ou le triangle. Dans la pièce numéro 3 du cycle consacré à la Trinité, on ne pouvait pas ne pas utiliser un triangle...

S'il faut donc saluer les efforts des musiciens pour défricher une partition nouvelle qui s'éloignait quelque peu de leur répertoire habituel (Stardust, entre classique et jazz, est un de leurs tubes), ce que je retiens de cette expérience, ce que j'ai aimé chez KABrass et qui m'a inspiré pour écrire ces pièces, c'est avant tout le plaisir de produire le son et de jouer ensemble, plaisir on ne peut plus communicatif. C'est le son chaud et plein des cuivres, mais c'est aussi l'ambiance amicale et volontiers facétieuse qui règne dans ce groupe, qui donne une coloration particulière et une forme de légèreté à tout ce qu'ils jouent.

Comme mon professeur de composition aime à le rappeler, les interprètes ont besoin de compositeurs sinon ils n'auraient rien à jouer; mais l'inverse est tout aussi vrai. Moi qui sais tout juste assez de trombone pour entonner La Marseillaise sur cet instrument (avec quelques pains), j'ai pu faire sonner non pas une mais dix embouchures. Une fois encore, merci et bravo à KABrass et à Xavier Saumon.

mercredi 9 septembre 2009

Le festival Présences rend hommage à Olivier Greif

Le occasions d'entendre en concert la musique d'Olivier Greif sont encore assez rares, malheureusement. Je dois au baryton L'Oiseleur des Longchamps qui avait créé sa symphonie pour voix et orchestre d'avoir découvert ce compositeur. Aussi il ne faudra pas bouder son plaisir la semaine prochaine, lorsque le festival Présences de Radio-France nous permet d'écouter le concerto pour violoncelle le 18 septembre prochain, à la maison de la Radio, avec Henri Demarquette en soliste et Jean-Claude Casadesus à la baguette de l'Orchestre National de France. Le lendemain, on pourra entendre les bouleversantes lettres de Westerbork (dont il existe un enregistrement chez Triton). Enfin, le 20 septembre permettra d'entendre une orchestration du Tombeau de Ravel, avec Laurent Petitgirard à la tête de l'orchestre Colonne. Ces trois concerts gratuits donnés par de superbes artistes vous permettront peut-être de découvrir l'univers très personnel et très attachant d'Olivier Greif. Mais également de ré-entendre les Métaboles de Dutilleux et d'assister à des créations comme Zverohra de Krystof Maratka, pour soprano et orchestre, sous la direction du compositeur.

A lire aussi: l'article d'Alain Cochard sur Concertclassic.com

dimanche 6 septembre 2009

Violas' 2009

Organisé par l'association qui gère le site alto en ligne, Viola's 2009 est une fête de trois jours consacré à l'alto. Conférences, master-classes, concerts gratuits dans tous les styles (classique, jazz, contemporains), exposition d'instruments et concours de lutherie. Bref il ne manque qu'un concours de blagues d'altistes pour que le tableau soit complet. Tout ça se passe au Conservatoire de Région de Paris, rue de Madrid du 6 au 8 novembre 2009. Vous pourrez tout savoir sur cet instrument étrange, trop gros pour tenir aussi gracieusement sur l'épaule qu'un violon, trop petit pour sonner comme un violoncelle, trop mélancolique pour ne pas être d'une irrésistible drôlerie, trop bâtard et ambigu pour qu'on puisse jamais en épuiser les mystères...

vendredi 4 septembre 2009

Ce petit air qui me trotte dans la tête... les virus auditifs

C'est un phénomène que nous avons tous connu: un fragment de musique sorti d'on ne sait d'où dans notre mémoire, et qui se répète en boucle comme un disque rayé. Une fois qu'on l'a dans le crâne, impossible de le faire partir ! Qu'on travaille, qu'on fasse la vaisselle, qu'on écoute de la musique même, il revient sans cesse, pour nous torturer parfois jusqu'à l'obsession, et nous priver de sommeil !

Et c'est encore plus contagieux que le virus de la grippe H1N1 ! Il suffit de fredonner l'air à une tierce personne pour qu'elle soit également contaminée par ce que les anglais et les américains appellent music worm ou encore ear worm. Mark Twain en a fait le sujet d'une nouvelle d'une irrésistible drôlerie, Punch, Brothers, Punch ! qu'on peut lire en ligne sur des sites comme readbookonline. Dans la nouvelle de Mark Twain il ne s'agit pas d'une chanson ou d'un air musical mais d'une sorte de refrain ou de comptine qui n'est pas sans évoquer Le poinçonneur des lilas créée par Serge Gainsbourg en 1958 (des p'tits trous, des p'tits trous, encore des p'tits trous...).

Encore plus amusant, la mélodie écrite par Gary Bachlund en 2008 sur le refrain de Mark Twain. Elle a comme caractéristique de n'utiliser que les 7 notes de la gamme de do (autrement dit, les touches blanches du piano), tant pour la ligne vocale que pour l'accompagnement, ce qui n'empêche pas quelques dissonances pour pimenter le tout.

Lorsqu'on l'a attrapé, comment se débarrasser d'un virus auditif (des p'tits trous, des p'tits trous... ) ? Les meilleurs spécialistes se sont penchés sur la question, sans grand succès (et des p'tits trous et des p'tits trous....) . Les médicaments psychotropes ou dans les cas extrêmes la chirurgie donnent des résultats contrastés (encore des p'tits trous...). Ils peuvent aussi bien aggraver les symptômes que les faire disparaître. Au passage,  certains neurologues comme Oliver Sacks ont noté que les hallucinations auditives sont plus fréquentes (des p'tits trous... ) que les hallucinations visuelles. Sans doute à cause de la nature de la mémoire auditive, qui est bien plus fidèle et précise que la mémoire visuelle. L'oeil pouvant enregistrer beaucoup plus d'information que ce que notre cerveau peut traiter, nous simplifions et analysons nos perceptions visuelles avant de les mémoriser (encore des p'tits trous...), ce qui fait que la mémoire visuelle est éminemment personnelle et subjective. La mémoire auditive l'est également, mais elle l'est beaucoup moins: de nombreux tests l'ont montré, après une seule écoute, la plupart des gens peuvent restituer une mélodie avec le bon rythme, les bons intervalles, et ce avec une précision vraiment étonnante (et des p'tits trous et des p'tits trous....).

La médecine étant impuissante dans ce domaine,on doit se contenter des recettes de grand-mère. Parmi celles qu'on recommande généralement (des p'tits trous, des p'tits trous... ):

  • soigner le mal par le mal: si l'on a identifié la chanson ou le morceau dont est tiré le virus auditif, écouter la vraie chanson en entier peut aider à s'en débarrasser;
  • plus efficace encore, chanter ou jouer sur un instrument le morceau qui nous trotte dans la tête; là encore il faut le donner en entier, et le pas se contenter du fragment qui revient en boucle dans le cortex auditif (et des p'tits trous et des p'tits trous....)
  • jouer, chanter, écouter plusieurs fois un autre morceau qui n'a rien à voir. Les résultats sont difficiles à prévoir: soit le virus revient comme avant (des trous d'première classe, ), soit il disparaît, soit il est remplacé par le nouveau morceau
Certains n'ont pas hésité à recourir à des méthodes encore plus radicales, à tel point qu'on ne saurait vraiment recommander de les imiter :
  • la méthode Van Gogh qui consiste à se couper le lobe de l'oreille (ce qui n'a malheureusment aucun effet sur les virus auditifs)
  • la méthode Beethoven qui demande un certain travail tout de même: écrire trente-deux ou trente-trois variations, façon Diabelli ou WoO 80.
  • la méthode Wagner: on fait construire un théâtre où l'on bombarde les victimes de leitmotives durant quatre heures, de manière à garantir une contamination efficace. (même la grippe espagnole de 1918 n'a pas fait autant de victimes que le wagnérisme)
  • la méthode Werther, résultat garanti mais dommages collatéraux irréversibles: une balle dans la tête.
Sur ces bonnes paroles (et des p'tits trous et des p'tits trous et des p'tits trous....) il ne me reste qu'à me passer la tête sous l'eau bien froide pour tenter d'oublier... Au fait, personne n'aurait vu ma poinçonneuse ?


mardi 25 août 2009

Un trio inédit de Martinů par l'ensemble Calliopée

A l'heure où sur le marché américain, les ventes de musique en ligne vont bientôt dépasser celles des disques compacts, à l'heure où les majors déversent sans discernement leur gigantesque catalogue dans des site de musique en ligne mal ficelés, à l'ergonomie douteuse et de qualité sonore médiocre, à l'heure où Internet peut donner l'illusion qu'on a accès à tout tout de suite et si possible gratuitement, il est bon de savoir qu'il existe encore des artistes et des éditeurs qui prennent le temps de réaliser des disques qui soient une nourriture pour l'esprit autant qu'un régal pour les oreilles. Qui se donnent la peine de chercher un répertoire original. Qui choisissent avec soin l'iconographie, et composent un livret digne de ce nom, où l'on trouve autre chose qu'un copier-coller du CV des interprètes.

Le double album Alpha que j'ai entre les mains est consacré à la musique de chambre de Bohuslav Martinů, avec un trio à cordes H. 136 dont c'est le tout premier enregistrement disponible en disque, un quatuor avec piano H. 287, un quintette à deux altos H. 164 et un étrange sextuor pour piano, harpe, clarinette, violon, alto, violoncelle H. 376.

Comme nous l'explique Harry Halbreich (auteur du catalogue des oeuvres de Martinů) dans le livret, le trio à cordes H. 136 fut écrit par un Martinů encore jeune en 1924 alors qu'il venait d'arriver à Paris, et de prendre quelques leçons avec Albert Roussel. Cette partition a été envoyée à Prague puis perdue, et retrouvée en 2005 seulement, à la bibliothèque de Copenhague où elle dormait depuis vingt-cinq ans. Elle marque un tournant chez le compositeur tchèque dont les 135 premiers numéros (une productivité exceptionnelle !) étaient surtout marqués par l'impressionnisme à la Ravel-Debussy mâtiné de folklore tchèque. Plus ramassée, plus intime, plus tendue, plus personnelle, cette partition annonce et contient déjà le meilleur de la musique de chambre de Martinů.

Je me souviens de l'instant où j'ai tenu le manuscript entre les mains, et j'en tremble encore m'a confié Karine Lethiec, l'altiste à l'origine de ce projet, de cette véritable aventure musicale. La passion et l'engagement des interprètes sont palpables sur le mini-documentaire d'une vingtaine de minutes réalisé par Olivier Ségard. Paris, Prague, Copenhague mais aussi la ferme de Villefavard dans le Limousin sont les étapes de ce périple. Villefavard où Martinů a été accueilli par Charles Munch lorsqu'il fuyait les nazis en 1940. Villefavard où l'album a été enregistré soixante ans plus tard...

Je vous invite à écouter des extraits de ce trio sur le site d'Alpha (qui a récemment fusionné avec aeon, dirait-on). La comparaison n'est peut-être pas justifiée sur le plan musicologique, mais surtout dans l'interprétation de Maud Lovett, Karine Lethiec, et Romain Garioud, ce trio a quelque chose de brûlant et de secret qui n'est pas sans évoquer les quatuors de Janáček, qui sont d'ailleurs contemporains de ce trio. Certains passages sont vraiment à couper le souffle, comme les murmures qui concluent adagio et pianissimo le très énergique premier mouvement. Quinze ans plus tard, lorsqu'il entama son trio à cordes, un de ses derniers chefs-d'oeuvres, Albert Roussel s'est-il souvenu de celui de son élève ?

Il me faudrait plus qu'un billet de blog pour détailler les oeuvres présentées dans ce double disque. La plus aboutie et la plus étonnante est le sextuor H. 376 qui marie ces instruments antagonistes que sont le piano et la harpe. On entend le violon jouer de la harpe, le piano se faire passer pour une clarinette, l'alto jouer à cache-cache avec les uns ou les autres, le violoncelle chanter comme un ténor d'opéra au-dessus de l'orchestre... Le titre de cette surprenante et magnifique sonate à six ? Musique de chambre. Les musiciens de l'ensemble Calliopée nagent dans ce répertoire avec autant d'aisance que des petits poissons dans l'eau du Danube, pour notre plus grand bonheur.

vendredi 14 août 2009

Trois jours de paix et de musique

Le festival de Woodstock (qui n'a pas eu lieu à Woodstock mais à soixante kilomètres comme chacun le sait) eu lieu avant ma naissance. Comme pour Mai 1968, la guerre d'Algérie, ou les premiers pas de l'homme sur la Lune, je ne le connais que par ouÏ-dire, par les photos, vidéos et témoignages. Ceux-ci brossent un tableau plutôt contrasté des évènements eux-même: une foule paisible d'un demi-million de personnes, des concerts rock de qualité inégale (où l'on remarquait déjà quelques futurs stars comme le guitariste Santana), une organisation amateuriste et totalement débordée, beaucoup de pluie, mais aussi des drogues douces pas chères et des filles pas trop bégueules.

Jouer de la guitare, fumer de l'herbe et se baigner nus en groupe, filles et garçons est certainement une façon sympathique et conviviale d'occuper son temps libre, mais en quoi est-ce une révolution ? Pourquoi l'esprit de Woodstock a-t-il marqué toute une génération ? Où était le projet politique là-dedans ?

Peut-être n'y avait-t-il pas de projet politique, et c'est bien là toute la nouveauté. Les enfants du baby-boom, mes parents, disant à leurs aînés: Pas question de se faire tuer au Viet-Nâm ou en Algérie pour défendre les puissances coloniales ou le capitalisme. Nous préférons jouer de la flûte autour d'un feu de camp, porter les cheveux longs, fumer de la marie-jeanne et faire l'amour toute la journée .

L'insouciance, la confiance en l'avenir, la tranquillité de cette génération qu'on perçoit aisément dans les films et les romans de cette époque, et pas seulement chez les hippies, sont sidérantes si on les compare  à l'humeur tristounette voire franchement sinistre des étudiants aujourd'hui. Il faut dire que l'insertion des jeunes sur le marché du travail est entre-temps devenu un véritable parcours du combattant... La contestation de la société n'a pas disparu, mais elle a pris une forme plus violente, marginale ou souterraine. Je me souviens d'un article de journal sur les manifestants qui brûlent des voitures et cassent des vitrines en marge des réunions du G8 ou G20: comme leurs aînés, ils réagissent contre le pouvoir, l'argent mais la plupart peinent à l'expliquer avec des mots ou à formuler ne serait-ce qu'un embryon de projet de société alternative.

Côté musique, Woodstock marque le début du règne des majors. Grâce aux médias de masse (presse, radio, télévision, disque) et aux progrès techniques dans la reproduction du son (33 tours, cassettes, CD laser) qui devient omniprésente, on peut fabriquer des stars de dimension mondiale. Pour un musicien, signer avec un label réputé devient le ticket d'entrée dans la cour des grands. La musique s'est développée jusqu'à devenir une véritable industrie, une industrie menacée aujourd'hui de connaître le même sort que les haut-fourneaux en Lorraine ou les sabotiers auvergnats. La roue tourne...

Pour la musique classique et l'opéra, la fin des années 1960 représente à coup sûr un point bas. Un ami qui avait 20 ans en 1968 m'a confié qu'il suffisait de se présenter le jour même du spectacle pour trouver des places à l'Opéra de Paris, et pas cher encore. Quant aux compositeurs comme Stockhausen, dont les Stimmung (voix) pour six chanteurs ont été qualifiées en 1968 de feu de camp hippie, ils ont tout tenté, dès le début des années 1950, non seulement pour chercher un des expériences sonores inédites mais aussi pour casser le rituel bourgeois du concert. Lequel rituel a les reins solides, car on écoute aujourd'hui les oeuvres provocatrices et radicales de années 1950 ou 1970 confortablement assis dans les fauteuils de l'auditorium de la Cité de la Musique, jouées par des virtuoses impeccables mais beaucoup trop sérieux pour faire éclater la folie et l'humour de ce répertoire extravaguant. Là encore on ne peut qu'être étonné par la façon audacieuse et enthousiaste avec laquelle les baby-boomers compositeurs se projetaient dans l'inconnu. Surtout si on la compare aux tendances actuelles, où les préfixes comme "néo" ou "rétro" abondent, où les sentiments exprimés sont plus élégiaques que psychédéliques. Karol Beffa, qui a mon âge à peu de choses près, et par ailleurs un excellent musicien que j'admire beaucoup, est le parfait représentant de cette nouvelle génération. C'est très beau, ça n'est pas toujours très gai, mais d'un autre côté il n'y a bientôt plus de pétrole, on a bousillé le climat, le burkini va remplacer le bikini et on n'a même plus le droit de copier la musique, ni même d'écrire des gros mots sur son prof dans un blog... franchement, les occasions de rigoler se font rares !


mardi 11 août 2009

Les musiciens du Titanic

Le naufrage le plus célèbre de l'histoire, celui du RMS Titanic en 1912, le plus beau, le plus grand et le plus sûr de tous les paquebots jamais construits jusqu'alors, a toujours passionné les foules, comme en témoignent les innombrables livres et films, fictions ou récits qui lui sont consacrés. Wikipedia nous apprend même qu'un certain Goebbels aurait tenté en 1943 un film sur le Titanic à des fins de propagande, film autocensuré en 1945 pour ne pas démoraliser davantage les populations victimes des bombardements alliés...

Parmi les anecdotes tirées des récits des survivants que les cinéastes ont utilisées, la plus frappante est peut-être celle de l'orchestre et de ses huit musiciens dirigés par Wallace Hartley qui ont continuer à jour jusqu'au naufrage où ils ont tous péri sans exception. Le contraste saisissant entre l'apparente futilité de cette occupation (jouer de la musique) et la perspective d'une mort imminente et certaine a été utilisé par James Cameron et par ses prédécesseurs comme une puissante illustration du drame.

Après un moment de recueillement devant le Mémorial de Southampton consacré à ces héroïques musiciens (photo ci-dessus), il est permis à un musicien du XXIè siècle de se poser la question: sommes-nous en train de jouer sur le pont du Titanic ? N'est-il pas futile et même scandaleux de consacrer son temps à perfectionner son vibrato alors que la maison brûle, le bateau coule, des vies sont en danger ?

La question se pose au niveau individuel (après tout c'est la mort qui attend chacun d'entre nous au bout du chemin) mais aussi au niveau collectif. Si comme le prédisent certains Cassandre les déséquilibres que nous introduisons dans les fragiles écosystèmes dont nous dépendons menacent la survie même de notre espèce, n'y a-t-il pas plus urgent et plus imporrtant à faire que de jouer du violon ?

Pour y répondre, il faut se mettre dans la peau de Wallace Hartley et de ses amis en cette nuit du 14 avril 1912. Impliqués dans des événements qui les dépassent et dont ils ne peuvent changer l'issue fatale, quelles sont les options dont ils disposent ? Courrir partout en poussant des cris, se brûler la cervelle, dire des Pater et des Ave Maria, écrire des lettres que personne ne recevra ? Autant continuer la musique ensemble et à embellir le peu d'instant qui restent à vivre et à partager.

Ainsi la leçon que les musiciens du Titanic nous ont apprise est celle-ci: on ne maîtrise que rarement son destin, mais on peut tout de même parfois choisir ce qu'on fait du temps qui nous est imparti. Et ce temps qui nous est donné, pourquoi ne pas le consacrer au plus noble de tous les arts, celui qui permet de maîtriser le temps, de le dilater ou de le racourcir, et même de le projeter jusqu'à l'infini ? Et ce corps qui nous est donné pour quelques instants seulement, pourrait-on en faire meilleur usage qu'en transcendant ses limites par l'art ?

Notre monde ressemble au naufrage du Titanic: il y a ceux qui barbotent, ceux qui crient, ceux qui se battent, ceux qui se noient, ceux qui sont à l'abri et au chaud dans les canots, ceux qui jouent du violon sur le pont. Tout cela au même instant. A l'échelle de l'Univers, le naufrage du Titanic, la disparition de l'homo sapiens sapiens, le pet d'une mouche, quelle différence ?

dimanche 9 août 2009

Musique de chambre à Courchevel dimanche 9 août 2009

Le dimanche 9 août 2009, à 9h30 (désolé pour les amateurs de grasse matinée dominicale), dans la salle de la Croisette de Courchevel 1850, l'audition des élèves du festival Musicalp 2009 permettra d'entendre de la musique de chambre et des compositions récentes. Deux d'entre elles ont été écrites par votre serviteur:

  • le Râga pour quatre altos, créé l'an dernier en juin 2008, sera repris par Karine Lethiec et ses élèves (qu'elle soit remerciée pour son dynamisme, son dévouement et sa gentillesse)
  • une toute nouvelle pièce pour clarinette, alto et piano, destinée à compléter le cycle des Poèmes d'après Yourcenar. Cette pièce, la quatrième d'un receuil qui en comptera sept quand il sera terminé, porte les vers suivants en exergue, tirés des Charités d'Alcippe de Marguerite Yourcenar:

    Le miel inaltérable au fond de toute chose,
    est fait de nos douleurs, nos désirs, nos remords

Venez nombreux, comme on dit dans ces cas-là. Pour ceux et celles qui ne pourront pas venir, sous réserve qu'ils présentent un justificatif en bonne et due forme, que la technique ne joue pas de vilains tours et que l'altiste ne fasse pas trop de fausses notes, il y aura peut-être un petit extrait sonore pour les lecteurs de ce Journal.

samedi 8 août 2009

Musicalp 2009: Fauré, Ravel, Debussy

Voici un compte-rendu express du concert du 8 août 2009 à Courchevel, donné par les professeurs de l'académie Musiscalp:

  • Ravel: Sonate pour violon et violoncelle: on l'entend peu en concert car c'est une oeuvre des plus difficiles (et pour le public, un plaisir intense mais un rien austère). Commençons par saluer l'interprétation de Christophe Poiget et Martina Schucan, une technique irréprochable et un engagement total qui forcent l'admiration. Ce qui me frappe en ré-entendant cette Sonate, c'est à la fois sa beauté intemporelle et sa modernité sans concessions. Comme l'écrivit Ravel en dans son autobiographie à propos de cette sonate qui l'a occupé durant dix-huit mois de 1920 à 1922:

    Je crois que cette sonate marque un tournant dans l'évolution de ma carrière. Le dépouillement y est poussé à l'extrême. Renoncement au charme harmonique; réaction de plus en plus marquée dans le sens de la mélodie.

  • Debussy: La Mer (réduction pour piano à quatre mains). Même si j'avoue garder quelques préventions pour cet arrangement qui plus que tout autre mérite le nom de réduction, lorsque c'est donné par Pascal Devoyon et Rikako Murata, dont on a déjà parlé en bien dans ce journal, ça ne manque pas de couleurs et le toucher subtil et varié des deux pianistes permet de très bien distinguer les plans sonores. J'ai particulièrement aimé la section centrale (jeux de vagues) avec ses trilles, trémolos et autres minauderies impressionnistes. En fermant les yeux on pourrait facilement oublier qu'on est dans une salle de concert et se rêver goéland ou dauphin.
  •  Fauré, Quatuor pour piano et cordes en Ut mineur. Retour dans des paysages sonores plus familiers. La construction, les harmonies, les lignes mélodiques, tout est plus classique mais fort bien écrit et fort bien joué.

mercredi 5 août 2009

Musicalp 2009: des tubes, quelques curiosités et de petits bijoux

Entendu le 3 et le 5 août 2009 à Courchevel, dans le cadre du festival Musicalp, de la musique de chambre, avec un mélange plutôt réussi de grands classiques et de pièces plus rares. Parmi les meilleurs souvenirs que j'en garderai:

  • Les Soirs Étrangers de Louis Vierne (surtout connu comme organiste), une série de pièces pour piano et violoncelle qui évoquent le meilleur de la musique française d'avant-guerre (côté références, on pense à Ravel, Albeniz ou Fauré). Superbe interprétation d'Yvan Chiffoleau et Jacques Gauthier. On se demande un peu pourquoi tant de violoncellistes limitent leur répertoire à la musique romantique allemande et n'exploitent pas davantage la musique française pour violoncelle et piano qui comporte d'autres trésors méconnus (Magnard, Widor, et bien d'autres)
  • Introduction et Allegro de Ravel pour harpe, flûte, clarinette, et quatuor à cordes, dans une sublime version d'Isabelle Perrin, une des meilleurs spécialiste du répertoire français pour harpe, et de ses amis, toute en finesse et en couleurs
Beaucoup d'autres bons moments, comme un quintette en sol mineur de Mozart plein d'émotion, un nocturne pour piano, violon violoncelle de Schubert proche de la perfection absolue. D'autres oeuvres suscitent davantage la curiosité que l'admiration (je parle là du répertoire et non des interprètes dont le niveau général est excellent), comme un trio pour clarinette, violoncelle et piano du jeune Glinka.

D'autres concerts sont programmés jusqu'au 19 août: si vos vacances vous emmènent pas trop loin de Moutiers ou des stations des des trois vallées, vous pouvez consulter le programme. Les concerts sont gratuits mais victimes de leur succès et l'auditorium du Jardin Alpin n'étant pas immense, il vaut mieux arriver un peu à l'avance si l'on veut éviter d'être assis sur une marche.

mercredi 29 juillet 2009

Forme Sonate et Cinéma Hollywoodien

Nous en avons tous vu des dizaines. Au bout d'un moment, ils finissent par se ressembler. Les films américains, et je ne parle pas du cinéma d'auteur mais des super-productions à gros budget, sont très formatés. C'est un reproche qu'on leur fait souvent. C'est ce qui gâche en partie le plaisir quand ça devient trop prévisible: dans Die Hard je-ne-sais-plus-combien, comment avoir peur pour Bruce Willis suspendu par un bras à une grue de chantier en train de tomber alors qu'on sait qu'il reste une heure de film et que donc il va forcément s'en sortir ? Mais c'est aussi ce qui nous rassure, une convention implicite entre les créateurs et les spectateurs du films, ce qui leur permet de bien communiquer grâce à des topoï (des lieux communs, des clichés), ce qui donne enfin une direction et une forme à l'oeuvre où l'on distingue clairement le début, le milieu, et la fin, où les proportions du tout sont harmonieuses, où le rythme de la narration permet de traverser 2 ou 3 heures sans ennui.

Quel lien avec la forme sonate ? Regardons cela de plus près:

  • Sonate de la fin du XVIIIe siècle: on commence dans le ton principal, on distingue en général deux thèmes de caractère opposé . C'est l'Exposition. Puis les tensions harmoniques et rythmique s'accumulent dans le Développement qui est souvent la partie la plus libre, la plus inventive, la plus complexe. Ces tensions sont résolues par la Ré-exposition qui rétablit par étapes le ton principal qui sera confirmé par la Coda. Pour bien comprendre, apprécier et jouer la musique de style classique dont Haydn, Beethoven, et Mozart ont écrit les plus belles pages, il faut se plonger dans un monde où tout est basé sur un ton principal et un accord parfait, et que chaque modulation ou dissonance qui contredit le sentiment d'un ton principal est un événement musical en soi, qui appelle une résolution.
  • Film d'action: Le héros (un mâle) jouit d'un bonheur tranquille avec sa femme / son pote / son berger allemand / ses deux filles jumelles (premier thème). Les méchants enlèvent la dulcinée ou les gosses ou encore préparent un attentat à l'arme de destruction massive (second thème). Fin de l'exposition. Diverses péripéties qui mettent le héros en danger et lui permettent de prouver ses qualités (Développement). Duel final avec le patron des méchants, mort honteuse de celui-ci, bonheur familial et paix dans le monde retrouvés (Coda).
  • Comédie romantique: Une jeune homme (premier thème) rencontre une jeune femme (deuxième thème). Alors que tout semble les opposer, et qu'ils se disputent à chaque fois qu'ils se voient, le sort semble s'acharner à vouloir les réunir (Développment). Après une séparation qui paraît définitive en ramenant chaque personnage à sa solitude initiale (Réexposition), ils s'avouent finalement leur amour (Coda).
On pourrait continuer le parallèle avec d'autres genres de films populaires (survival horror, polar, familial comedy, christmas movie). Le formatage est-il un frein à la créativité ? Rien n'est moins sûr. Les individus créatifs sont précisément ceux qui peuvent jouer avec les conventions et avec les attentes du public, les satisfaire, les détourner, les trahir au besoin... du reste rien n'est gravé dans le marbre. Aucun manuel scolaire sur la forme Sonate n'existait à l'époque de Michael Haydn et du Chevalier de Saint-Georges: ce que nous voyons aujourd'hui comme un ensemble de règles figé n'est que le profil qui a fini par émerger d'un ensemble d'oeuvres connectées entre elles et conformes au goût d'une époque et d'un public. Du reste, comme le démontre Charles Rosen dans Hadyn, Mozart, Beethoven: le Style Classique, l'unité de la forme Sonate n'est pas mécanique (comme d'autres formes musicale comme la fugue ou le scherzo ABA) mais organique: tout est affaire d'équilibre entre des forces en tension, et de justes proportions destinées à construire un discours, une véritable narration, un drame sans paroles. Ainsi on peut juger trop longue la fin du troisième épisode du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson (d'après le roman de Tolkien): une fois Sauron vaincu, les hobbits n'en finissent plus de faire la fête avec leurs amis, puis rentrer à la maison, refaire la fête, se marier, dire au revoir aux elfes, etc. Cette conclusion heureuse serait trop longue pour un film ordinaire mais ses proportions sont à mettre en regard avec celles de la trilogie toute entière (9 heures de film, 12 dans la version longue). De même l'interminable Coda de la 5e Symphoie de Beethoven, un do majeur triomphant sur plus de 50 mesures, est à mettre en balance avec la Symphonie toute entière et non avec le seul Finale:

La forme est une question de convention et de tradition, certes, mais c'est aussi ce qui aide à donner une unité et une direction à l'oeuvre.

D'accord me direz-vous, les films commerciaux à gros budget sont formatés comme l'étaient les symphonies des siècles passés. Que dire alors de la musique de film, car il y a bien longtemps que le cinéma n'est plus muet ? La musique de film joue énormément sur les topoÏ, qui permettent aux spectateurs d'identifier instantanément (et le plus souvent, inconsciemment) les sentiments qu'une scène cherche à exprimer. Les violons ? C'est une scène d'amour. La trompette solo ? On célèbre les héros morts au combat. Les tambours ? L'excitation avant le combat. Les dissonances, la musique concrète ? L'angoisse, le suspense. La technique la plus courante est de loin celle du leitmotive wagnérien. Loin de moi l'idée de dire que les compositeurs de musique de film n'ont pas d'imagination: mais ce qu'on leur demande avant tout est de jouer efficacement et habilement avec les réflexes conditionnés et les attentes du public. En ce sens, la musique de film est plus ingrate que l'opéra ou la musique pure, car elle est subordonnée à l'image, et si c'est un film commercial grand public, destinée à plaire au plus grand nombre quitte à paraître trop simple ou trop prévisible aux mélomanes.

On peut et on doit lorsqu'on est un créateur tenter de s'écarter des recettes toutes faites. Mais dès qu'on le fait se reposent les mêmes questions: comment donner un sentiment d'unité ? Comment équilibrer les parties, construire une narration ? Comment communiquer avec le public sans employer un langage qui lui est familier ? Jusqu'où peut-on aller dans la déconstruction des formes classiques ? Une seule chose est sûre: pour la musique comme pour le cinéma, les grands noms se distinguent souvent par l'audace.

lundi 27 juillet 2009

Grand frère est te regardant !

Le génial auteur de La Ferme des Animaux et de 1984 a certainement dû se retourner dans sa tombe en apprenant l'histoire. De quoi s'agit-il ? Le libraire en ligne Amazon vend aux États-Unis un livre électronique sous le doux nom de Kindle. Un petit bijou de technologie qui se connecte tout seul à Internet et permet de lire des livres, mais aussi des journaux, des magasines, des blogs ou même de consulter Wikipedia.

Où est le hic ? Le Kindle utilise un format propriétaire bourré de DRM. Pour lire un livre sur le Kindle, si ce n'est pas un ouvrage libre de droits, il faut payer bien sûr, mais le problème n'est pas là. Qu'est-ce qu'on achète exactement ? Lorsqu'on achète un livre papier, on peut:

  • le prêter à un ami,
  • le vendre,
  • le donner,
  • s'en servir pour caler le tabouret du piano,
  • allumer le feu avec,
  • mâcher, déchirer, arracher, maculer les feuilles (activité chère aux lecteurs de 18 à 24 mois),
  • écrire dans la marge,
  • donner à sa déco un petit air intello ("tu comprends je stocke les romans de gare dans l'entrée car j'ai la philo et l'histoire de l'art qui prennent toute la place au salon")
  • suppléer aux pannes de papier toilettes (particulièrement recommandé pour les romans de Houellebecq ou Angot)
On peut même le lire, si on a du temps à perdre. Si on en prend soin, la durée de vie d'un livre est de 100 ans au moins, mais tous les imprimeurs vous diront qu'avec la qualité de papier utilisée actuellement par les grands éditeurs, c'est plutôt 50 voire 30.

Lorsqu'on achète un livre électronique, on ne peut pas faire grand-chose à part le lire. Quand c'est un roman de Marc Levy avouez que c'est tout de même moins réjouissant et roboratif que certains usages cités plus haut. On ne peut pas prêter ou donner un e-book, ni même en faire une copie de sauvegarde sur un ordinateur. Étant donné la durée de vie du lecteur (et l'obsolescence programmé des formats propriétaires), on ne peut pas davantage espérer le léguer à ses enfants. Mais il y a pire, bien pire ! Non seulement le libraire connaît la liste détaillée des e-books que vous possédez, mais il peut même les effacer à distance. Et Amazon l'a déjà fait, pour des copies du roman 1984 de Georges Orwell qui avaient été mises en vente par un libraire indélicat qui avait un peu oublié de payer les ayant-droits.

Et c'est là que toute la beauté des DRM, dont j'ai déjà dit tout le mal que j'en pensais concernant la musique, apparaît d'un coup. Si vous n'êtes pas atteints d'une sueur froide et de tremblements convulsifs des mains en lisant cette histoire, par pitié, laissez votre ordinateur, relisez 1984, courez l'acheter ou l'emprunter en librairie si vous ne l'avez jamais lu. Ou bien, imaginez que vous êtes iranien et que Mahmoud Ahmadinejad non seulement possède la liste de tous les livres que vous avez lus mais peut en supprimer à volonté. Là, vous y êtes ?

Une fois qu'on a bien saisi les enjeux, les plates excuses de Jeff Bezos paraîtront encore plus plates. Il ne s'agit pas d'une banale querelle commerciale opposant consommateurs et fabricant, mais bel et bien de la défense de nos libertés fondamentales dans ce qu'elles ont de plus concret. Le fait que 1984, entre tous les romans, soit l'objet déclencheur d'une telle avertissement est d'une ironie digne d'Orwell, et peut-être même une farce postume de l'écrivain visionnaire. Comme le souligne la Free Software Fundation, si le livre électronique doit se développer et remplacer un jour le livre papier, il est vital que nous disposions de plate-formes matérielles et logicielles ouvertes dont nous ayons le contrôle. C'est important pour éviter les abus commerciaux des éditeurs et des libraires en ligne mais plus encore pour défendre la démocratie dont la liberté de lire, d'écrire, de publier est un des vivants piliers. Pour les livres électroniques comme pour la musique, le boycott total et inconditionnel des DRM est la seule chose à faire.

Bonne nuit, chers lecteurs, faites de beaux rêves: Grand Frère veille sur notre sommeil.

mardi 14 juillet 2009

Les introuvables de la mélodie française par L'Oiseleur des Lonchamps

L'Oiseleur des Longchamps et Jeff Cohen nous offrent trois vidéos supplémentaires tirées de leur concert du 14 mai dernier à Rome. D'abord la Chanson d'Ophélie d'Ernest Chausson:

Et puis la Flûte de Jade de Jacques de La Presle:

Enfin le Héron Blanc d'Armande de Polignac:

Ces deux dernières mélodies sont rarissimes au concert, et inédites en disque. Bravo et merci aux artistes !

a

samedi 11 juillet 2009

Berceuse sur une gamme fantaisiste

Publié en 1945 chez un petit éditeur qui a depuis longtemps mis la clé sous la porte, Flûte à tue-tête de Jean Vogel est aujourd'hui quasiment introuvable. Je dois à L'Oiseleur des Longchamps et à sa curiosité insatiable pour la poésie sous toutes ses formes d'avoir découvert ce recueil. On y trouve en particulier une chanson, berceuse sur une gamma fantaisiste, que j'ai trouvée mignonne comme tout et mise en musique. La structure en est assez régulière: huit couplets qui commencent et finissent par une gamme. Voici les trois premiers:

Do ré mi fa sol la si do
Enfants sans jeux filles sans dot
Pourquoi pleurer dans vos rideaux ?
C'est demain le jour des cadeaux
Do ré mi fa sol la si do

Ré mi fa so la si do ré
Beaux enfants sages éplorés
Ce qui vous manque vous l'aurez
Cette poupée aux yeux dorés
Ré mi fa so la si do ré

Mi fa sol la si do ré mi
Les enfants sages endormis
Ont moins de peine et plus d'amis
Que ceux qui pleurent à demi
Mi fa sol la si do ré mi

La répétition et même la monotonie de la structure sont compensés par la grande fantaisie des couplets (on a même un vers en italien), des images qui surgissent sans cohérence afin d'évoquer l'univers des rêves d'enfants:

Fa sol la si do ré mi fa
Sophie s'endort au Califat
et songe (Oh ! Mille anni fa !)
Qu'elle est Calife au Califat
Fa sol la si do ré mi fa

Sol la si do ré mi fa sol
Victor qui rêve à Donna Sol
En effeuillant des tournesols
Tombe d'un saule sur le sol
Sol la si do ré mi fa sol

La si do ré mi fa sol la
Elle est bien bonne celle-là !
Lise qui dort voit Dalila
Gagner Samson en tombola
La si do ré mi fa sol la

Arrivé à la septième strophe, le poète finit par se moquer de lui-même et de la monotonie de sa berceuse, invitant même le lecteur à s'endormir:

Si do ré mi fa sol la si
Vous me direz qu'elle est bien scie
Cette gamma en péripéties
Mais essayez dormez aussi
Si do ré mi fa sol la si

Avant de revenir sur le do initial pour fermer la boucle:

Do ré mi fa sol la si do
Ainsi finit ma gamme en do
Avec des rêves pour fardeaux
Les écrevisses dos à dos
Vont deux à deux faire dodo
Do ré mi fa sol la si do

Pour mettre ce texte en musique, j'ai choisi autant de modes qu'il y avait de couplets, utilisant même le mode II de Messiaen pour le 7e couplet (l'extrême régularité de ce mode symétrique aide à produire l'impression de monotonie), sans chercher à éviter les clichés, comme la seconde augmentée "orientale" pour le quatrième couplet. Chaque strophe est donc traitée comme une mini-mélodie avec sa couleur harmonique, son rythme, son atmosphère, mais aussi comme une variation du thème mélodique initial. Et la huitième strophe redit la première à l'envers, ce qui était quasiment obligé par le texte (les écrevisses...). Trèves de paroles, voici le début de cette berceuse par L'Oiseleur des Longchamps (baryton) et Mary Olivon (piano):

La partition est en ligne chez Tamino Productions

vendredi 10 juillet 2009

De l'art de la prononciation à celui de la géopolitique

Notre ministre des affaires étrangères a bien du mal en ce moment... le voilà qui confond Ouïghours et Yogourts ! Indépendamment de ce lapsus, il faut reconnaître qu'il est bien embarrassé, pris en tenaille entre ses convictions qui tendraient à soutenir les Ouïghours au même titre que les Tibétains et la nécessité de ne pas trop fâcher la Chine, qui est très susceptible et ne supporte guère les commentaires sur ce qu'elle considère comme une affaire de politique intérieure.

Pour ses vacances prochaines, je suggère aux lecteurs du Journal de Papageno de se cotiser pour lui offrir un séjour en Yourte & Breakfeast, ce qui lui donnera tout le loisir de se reposer et de pratiquer de saines lectures, comme La Géopolitique pour les Nuls ou encore L'art du théâtre: La voix, le geste, la prononciation de Sarah Bernhardt.

Tout cela serait franchement hilarant si les victimes ne se comptaient pas par centaines. Pour le reste, on lit tout et son contraire dans la presse: selon les uns, ce sont des provocateurs au service de Pékin qui ont déclenché les affrontements; pour les autres, des terroristes islamistes, pour d'autres encore, la CIA... entre la propagande de la diaspora ouïghoure et celle du gouvernement chinois, et faute d'une vigoureuse intervention de BHL pour distribuer les rôles et nous dire qui sont les gentils et les méchants dans cette histoire, on reste dans le brouillard le plus complet...

jeudi 9 juillet 2009

L'Oiseleur des Lonchamps en concert

Après La Captive de Berlioz, voici une autre extrait vidéo d'un concert de L'Oiseleur des Longchamps. Il est accompagné par Jeff Cohen et chante L'Anneau, une mélodie de Frédéric Chopin qu'on entend pas souvent en français:

Cette vidéo a été capté le 14 mai dernier à la Villa Médicis. La prise de son est celle du micro du caméscope, elle est trop réverbérée et ne fait pas justice aux interprètes. Malgré tout, c'est le pâle reflet de ce qui a du être une soirée parfaitement délicieuse qui nous est ici offert. Ce concert permettait d'entendre quelques rare mélodies française, comme Ma Première Lettre de Cécile Chaminade:

mercredi 8 juillet 2009

Les compositeurs, ces morts-vivants

Entendu hier à la radio, le pianiste russe Nikolaï Louganski (Lugansky si vous préférez l'orthographe anglaise) parlant de Schoenberg et du dodécaphonisme. Il avait des mots très forts, parlant d'une musique de mort non à propos d'une oeuvre spécifique mais à propos de l'idée même que les 12 demi-tons soient égaux. A  Schoenberg il opposait ses contemporains comme Debussy et Rachmaninoff qui avaient continué à écrire de la musique vivante.

Il n'est pas question de démarrer ici une polémique ni de tirer sur le pianiste. N'étant pas un vrai journal mais un blog (et bien que certains m'aient traité de "journaliste" ce qui ne manque pas de sel), le Journal de Papageno est avant tout destiné à parler de musique, librement, sans arrières-pensées, sans avoir peur de se contredire, de changer d'avis, ou même d'écrire des âneries, mais aussi dans le respect des artistes et de leur travail, autant que faire se peut. Cela étant posé, l'opinion de N. Louganski m'inspire plusieurs remarques:

  • Il n'est pas tout à fait exact que Debussy, Rachmaninoff et Schoenberg soient contemporains. Debussy disparaît en 1918, sans vraiment avoir connu les oeuvres les plus révolutionnaires de Schoenberg (dont il avait entendu parler cependant). Serguei Rachmaninoff disparaît en 1943 et Arnold Schoenberg en 1951. Cependant, Rachmaninoff n'a quasiment rien écrit après son exil de Russie en 1917. La seule oeuvre importante qui ne soit pas une révision d'une oeuvre commencée avant 1917, le 4e concerto pour piano, n'a guère connu de succès comparé aux deuxième et troisième concertos. Il n'est donc pas abusif de voir en Rachmaninoff un représentant du romantisme tardif plutôt qu'un compositeur du XXe siècle.
  • La discographie et le répertoire de concert de Nikolaï Louganski ne comporte que des compositeurs morts il y a 50 ans ou plus, Prokofiev et Rachmaninoff étant les plus récents.
  • Les oeuvres phares de la période expressionniste de Schoenberg, comme le Pierrot Lunaire (1912) ou Erwartung (1909) sont incontestablement d'une inspiration morbide et la dissonance y est volontairement utilisée pour créer une atmosphère sombre et angoissante. Ce qui n'enlève rien à la valeur de ces chef-d'oeuvres.
  • Ce n'est pas la série dodécaphonique qui a tué la tonalité. Ce sont d'abord les compositeurs expressionnistes des années 1910-1920 qui, ayant constaté que la science harmonique était parvenu au point où l'on pouvait moduler d'une tonalité à une autre quasi instantanément, utiliser quasiment n'importe quelle dissonance sans préparation ou résolution. Dans un tel contexte, terminer sur un accord de ré majeur n'avait plus de sens sinon pour se plier à une convention purement formelle. La série dodécaphonique est venue bien plus tard, comme une tentative pour organiser la musique atonale et non comme un outil pour détruire la musique tonale qui était déjà morte et enterrée.
  • De très nombreux musiciens amateurs ou professionnels pensent comme Louganski, sans doute la majorité d'entre eux, même s'ils ne l'exprimeront pas aussi nettement. Pour un musicien classique, c'est tout simple, un bon compositeur est un compositeur mort, et le plus souvent, génial. Lorsqu'on leur propose de jouer de la musique contemporaine, ils ont une réaction de peur ou d'hostilité, ce qui fait que le plus souvent il ne veulent même pas regarder la partition. L'idée qu'une personne qu'ils connaissent, qu'ils fréquentent ou avec qui ils ont joué en musique de chambre ou en orchestre puisse écrire de la musique et donc un joindre ce club très fermé des COMPOSITEURS qui ne peut comporter que des génies comme Bach, Mozart, Beethoven les met franchement mal à l'aise. On pourrait blâmer les compositeurs contemporains pour cette attitude si elle ne consistait pas en un refus a priori et non a posteriori. Ils ne connaissent pas ou très peu la musique d'aujourd'hui et admettent ouvertement qu'ils ne veulent même pas la connaitre.
  • Si les compositeurs morts écrivent de la musique vivante et les compositeurs vivants de la musique de mort, alors quel que soit le camp qu'on ait choisi, c'est le bal des zombies qu'on fait danser ! Et la musique n'a pas l'air aussi charmante que la délicieuse java des squelettes, chanson pour enfants d'Alain Schneider.
Sur ce, chers lecteurs et lectrices, je vous laisse et retourne à la table de travail: c'est que j'ai une symphonie sur le feu, et toutes ces discussions, ça me tue...

samedi 4 juillet 2009

Les festivals et la crise

Dès les premiers jours de juillet, la programmation musicale dans les grandes villes se réduit comme peau de chagrin: à Paris, l'Opéra, le théâtre du Chatelet, la Maison de la Radio terminent leur saison; et si l'on trouve encore dans quelques églises des concerts pour les touristes, les occasions de se réjouir l'oreille se font plus rares pour les parisiens qui n'ont pas la chance de quitter la capitale et sa chaleur rapidement étouffante. Si l'on veut écouter de belles choses, mieux vaut prendre le large, se mettre au vert, chausser les sandales ou prendre son bâton de pèlerin (choisissez le cliché que vous préférez). Les plus chanceux iront à Glyndebourne, Salzbourg ou Aix-en-Provence; mais à vrai dire il n'est pas toujours nécessaire d'aller très loin ni de dépenser beaucoup pour trouver de vraies merveilles. Mais il est parfois nécessaire de fouiller un peu car les festivals sont maintenant si nombreux que les guides édités par la presse spécialisée sont devenus indispensables pour s'y retrouver. Grâce à la programmation audacieuse de certains festivals, qui cherchent des correspondances entre tous les styles de musiques on peut d'ailleurs saisir cette chance pour écouter ce qu'on ne connaît pas trop, voire qu'on n'aime pas trop a priori: jazz, contemporain, médiéval, improvisation, électro, musiques du monde... le plaisir est aussi celui de la découverte.

Les festivals vont-il souffrir de la crise comme à peu près tout le reste de l'économie ? Oui et non. La fréquentation ne semble pas baisser significativement. La folle journée de Nantes en janvier dernier semble avoir connu une affluence record. Il semble bien qu'un désir accru de se distraire ou de se détendre en ces temps difficiles compense au moins partiellement les effets de la baisse du pouvoir d'achat. En revanche, les organisateurs de festivals auront cette année encore plus de difficulté que d'habitude à boucler leur budget. Les sponsors et mécènes se font plus rares, ou plus radins, quand ils n'abandonnent pas tout simplement leur poste comme UBS l'a fait avec le très prestigieux festival de Verbier; les collectivités locales se font parfois tirer l'oreille pour apporter leur soutien (ce qui n'est pas très rationel car les retombées indirectes d'un festival, comme l'hôtellerie ou la restauration, sont en général dix fois plus importantes que le budget du festival lui-même); enfin les specateurs vont plutôt plébisciter les places à petit prix. D'un autre côté, on murmure ici et là que certaines stars du classique ont revu leurs demandes de cachets à la baisse.

N'attendez pas d'ailleurs du Journal de Papageno qu'il se transforme cet été en Journal des Festivals: ayant beaucoup de travail pour préparer la rentrée, en alto comme en composition, il me restera fort peu d'occasions de faire la cigale et dépenser l'argent que je n'ai plus depuis que je suis redevenu étudiant. Ni d'ailleurs pour alimenter ce journal, qui risque de se tarir comme un ruisseau au moins d'août. Ce qui ne m'empêchera pas de souhaiter un excellent été à tous les lecteurs et lectrices de ce journal, et tout spécialement à ceux et celles qui ne pourront pas prendre de vacances.

- page 24 de 46 -