Difficile d'échapper au matraquage publicitaire, et donc d'ignorer l'arrivée de l'énorme super-production Mozart l'Opéra rock
. Plutôt que d'observer la bête elle-même, observons les remous que son arrivée provoque dans la blogosphère. Avant même sa sortie, le spectacle suscitait des billets doux au titre évocateur comme l'opéra d'égoût ou encore la plus grosse arnaque de l'année ! Pas besoin de lire ce type de billets pour savoir ce qu'on y trouve: le déclin de la culture, et gna gna gna, et la marchandisation, et gna gna gna. (Pour faire amende honorable, notons que le journal de Papageno avait joint sa voix aux grognons à propos de la chanson tatoue-moi sur tes seins. C'est toujours un peu bête de grogner sur son blog. Il vaut mieux consacrer son énergie à défendre ce qu'on aime. fermons la parenthèse)
Côté rockers, on apprécie diversement: chez MusicalAvenue on craint que ça ne soit qu'un Opéra-rock-à-minettes
. Chez Ondes de Rock on regrette: il est bien de démocratiser la musique classique, mais certainement pas en faisant du racolage et en se servant d'un nom pour vendre un produit artistiquement médiocre
. Non, vraiment ?
Bien sûr c'est chez les critiques professionnels qu'on trouve la cruauté la plus exquise, chez Jacques Drillon pour le Nouvel Obs qui annonce carrément la deuxième mort de Mozart
(le pauvre !) Si d'ailleurs vous tenez à rejoindre le fan-club des grognons anti-opéra-rock et à jeter votre pierre pour contribuer au lapidage médiatique, il y a même un groupe facebook.
Le plus drôle à la réflexion étant l'article dans le Parisien, d'abord pour son style inimitable et typique de ce journal, bourré de pléonasmes et tellement au premier degré: "les tableaux s’enchaînent (...)
en finesse, sans dorures dégoulinantes, sans bling-bling outrancier". On y apprend plein de choses sur les coulisses du spectacle, comme le fait que le rôle-titre "a pris des cours avec un coach pour perfectionner son français". Par contre l'article a dû être écrit par un sourd car il n'y est pas question de musique.
Que penserait le divin Mozart de tout ça si un miracle le téléportait à notre époque ? Deux visions de sa musique s'opposent: d'un côté les gardiens du temple qui la servent fidèlement (d'où les recherches sur les instruments d'époques, le Ur-text, etc) mais parfois avec un dogmatisme un peu étroit; de l'autre des artistes qui arrangent, bricolent, composent, vivent avec leur époque et n'ont aucun complexe. Le Mozart d'Olivier Dahan est davantage inspiré par le film de Milos Forman que par la vie du vrai Mozart ? Certes, et alors ? On n'a le droit de ne pas aimer un spectacle pour mille et une raisons; à vrai dire on n'a même pas besoin de raison pour aimer ou pas; mais de là à crier à l'assassin ! Dieu merci la musique, même lorsqu'elle est très mauvaise, ne tue personne.
Pendant ce temps-là, le théâtre du Châtelet a la très bonne idée de nous proposer deux lectures complémentaires de La Flûte Enchantée; la version originale, produite par l'opéra de Montpellier; et une re-lecture contemporaine qui vient d'Afrique du Sud. De quoi s'ouvrir à la création sans oublier ses racines classiques. Si vous n'avez pas encore eu le bonheur d'assister à un opéra de Mozart, ou si vous préférez Wolfgang pur beurre et sans OGM, allez voir la première version; si vous avez déjà vu 10 fois la Flûte à Salzburg, Aix, Zürich et New-York, si vous commencez à vous lasser des concertos où le pianiste joue (trop) sagement une cadence apprise par coeur, faute de savoir ou d'oser improviser, la deuxième version pourrait vous tenter...
La musique de Mozart sera vivante tant qu'elle continuera à inspirer des compositeurs, metteurs en scène, chanteurs et instrumentistes audacieux et inventifs. Le jour où sa muséification sera achevée, on l'on ne pourra plus jouer que le ur-text sur instruments d'époque certifiés conformes, ce jour-là elle sera bel et bien morte.