La presse généraliste a abondamment commenté le verdict d'un tribunal suédois qui condamne plusieurs personnes à un an de prison ferme pour avoir opéré un site servant à organiser le téléchargement (illégal) de musique, de films et de logiciels. Au passage les journalistes ne se sont pas privés de donner le nom et l'adresse internet du site en question, ce qui est soit très généreux soit un peu stupide de leur part. Rappelons plusieurs faits:
- Ces pirates ne sont pas de gentils hippies qui opèrent leur site dans un garage sur leur temps libre mais des professionnels et des hommes d'affaires avisés. Leur site génère des millions de visites et les revenus des bannières publicitaires sont en conséquence.
- Ils ne proposent aucun contenu créatif ou constructif, leur site a pour seul et unique but d'organiser le téléchargement massif de films, musique, jeux vidéos, logiciels, etc
- Le nom de "pirate" est certes mal choisi pour désigner leur activité. C'est un terme fabriqué par les majors du disque (et les géants du logiciel comme Microsoft) qui s'est imposé dans le vocabulaire courant. Le mot de "parasite" serait déjà plus proche de la réalité. A quoi pourrait-on comparer leur activité ? Peut-être à un magazine qui donnerait mille et un tuyaux pour frauder les impôts et la sécu (sur de petits montants) en ayant peu de chances de se faire pincer. Le préjudice est réel et globalement important mais difficile à quantifier et noyé dans la masse.
Vous l'aurez compris, j'éprouve assez peu de sympathie pour ces escrocs à la petite semaine qui se posent en défenseurs des libertés individuelles et des gentils internautes contre les méchantes majors. Je trouve même assez surprenante leur popularité (on parle même en Suède d'un "parti des pirates" qui voudrait se présenter aux élections du Parlement Européen).
Un autre débat, plus technique, concerne les moteurs de recherche. Si les pirates suédois sont poursuivis en justice, est-ce que Yahoo ou Google doivent l'être ? En effet les moteurs de recherche américains incluent les "torrents" qui permettent de télécharger illégalement des films ou des albums dans leurs indexes. Cela dit les pirates suédois n'hébergeaient par seulement les
torrents qui décrivent un fichier à télécharger mais aussi les
trackers qui sont indispensables pour connecter entre eux les utilisateurs de bittorrent. Laissons le débat technico-juridique aux spécialistes, et notons simplement une petite différence de
business plan entre un moteur de recherche généraliste et un moteur de recherche spécialisé dans le téléchargement illégal. Différence qui n'est pas si grande au demeurant, car dans les deux cas l'internaute est quasiment obligé de passer par le moteur de recherche qui capte les revenus publicitaires, au détriment des producteurs de contenu (un cas d'école étant les agrégateurs d'articles de presse comme Yahoo News ou Google News).
Internet et le MP3 sont des outils formidables pour les musiciens qui veulent faire connaître leur travail et partager des enregistrements avec le plus grand nombre. C'est une possibilité que j'ai utilisé moi-même pour partager quelques enregistrement réalisés lors de concerts d'amateurs (et qui est utilisée également par de nombreux ensembles comme
Ut Cinquième). Les enregistrements en question n'ayant pas de valeur commerciale, la question de leur piratage ne se pose même pas à vrai dire.
Mais si c'est une chose que les artistes aient la possibilité de poster gratuitement des enregistrements pour les partager avec le monde entier, c'en est une autre que de poster gratuitement, et sans leur demander leur avis, le produit de leur travail. Est-ce donc immoral que de chercher à produire des enregistrements de qualité professionnelle (ce qui coûte cher) et de chercher à les vendre ? Et peut-être même de gagner de l'argent avec ?
L'argument choc mis en avant par des groupes d'internautes comme "le réseau des pirates" est "nous sommes des millions à télécharger des albums, et ils veulent faire de nous des pirates". Le mot de pirate est mal choisi, je l'ai déjà dit, mais ça n'est pas parce qu'une mauvaise action est commise par de nombreuses personnes qu'elle devient bonne. Il y a peu d'années, il y avait des millions de gens en France qui roulaient à 150 ou 180 sur les autoroutes, ou qui fumaient sur leur lieu de travail. Ce qui ne faisait pas d'eux des bandits de grand chemin ! Mais la loi a changé, les sanctions ont changé, et leur comportement a changé. Pour le téléchargement sur Internet, c'est la même chose: tant que le bénéfice des quelques euros économisés sur l'achat du disque ou du DVD excédera les inconvénients et les risques de sanction, le téléchargement abusif continuera sur une échelle massive. Monsieur Tout-le-monde n'est pas un criminel mais ça n'est pas non plus un saint...
(petite correction après coup: il semble que le terme
pirate
pour désigner les infractions au droit d'auteur soit aussi ancien que le droit d'auteur sinon plus, puisqu'il est attesté dès le XVIIe siècle en Angleterre si j'en crois l'article
Copyright infrigement de Wikipedia. Il faudra que je vérifie d'ailleurs mais je crois me souvenir d'une préface où Balzac appelle
flibustiers les éditeurs qui imprimaient ses romans en Suisse ou en Belgique, bourrés de fautes et naturellement sans lui verser un centime).
(mise à jour le 24 avril 2009: les avocats vont demander une annulation du procès au motif que l'un des juges était membre de plusieurs lobby de la propriété intellectuelles, équivalents suédois de la RIAA aux Etats-Unis ou de l'APP en France. Ce qui fait mauvais genre évidemment, surtout si l'on considère la sévérité de la peine. Par ailleurs si l'on en croit le site anglais
The Register, l'un des quatre pirates, celui qui se chargeait des finances en particulier, ressemblerait davantage à un néo-nazi doté d'une solide fortune personnelle qu'à un gauchiste vivant dans une caravane. Une occasion de rappeler que les site de p2p sont aussi et entre autres un lieu privilégié d'échange de vidéos révisionnistes ou de matériel pédo-pornographique, même si cela dépasse de loin le cadre de ce journal...)