Loi Hadopi: la bataille fait rage
Par Patrick Loiseleur le mercredi 16 juillet 2008, 22:06 - Musique en Ligne - Lien permanent
La bataille fait rage autour de la loi Hadopi actuellement en discussion au parlement, qui pourrait voir la France adopter la riposte graduée (e-mail d'avertissement puis suspension de la connexion Internet pour les internautes télé-chargeurs). D'un côté des cinéastes qui signent dans le Monde un tribune Culture ne rime pas avec gratuité.
De l'autre la riposte parfois violente des internautes (lire par exemple le blog de Palpatine ou encore Clic de Droite), qui attaque les signataires de l'article en contestant leurs qualités artistiques:
Qui osera me dire que Claude Lelouch peut décemment soutenir "Est-il liberticide de vouloir préserver le droit pour les auteurs de continuer à faire des films ?" contre le partage de fichier gratuitement sur internet, alors que ses films ne font plus d'entrées depuis bien longtemps (et à part un coffret hors de prix, allez trouver ses DVDs...), et que l'on prie tous les matins pour qu'il arrête d'en faire ?
Il est frappant de voir la récurrence de certains arguments dans les forums Internet, à savoir
- de toute façon c'est de la m.... qu'ils nous vendent (mais dans ce cas, pourquoi la télécharger ?)
- les chanteurs sont tous des millionnaires (qui planquent leurs millions en Suisse)
- il n'y a qu'à faire la licence globale puisque les internautes la réclament (même si beaucoup d'artistes et de producteurs n'en veulent pas)
Pour ceux qui ne veulent pas mourir idiots et saisir le fond du débat avant de prendre position, il y a aussi le texte du projet de loi déposé au Sénat en juin, qui sera arbitré à la rentrée parlementaire.
Business model des artistes et producteurs de contenus culturels, protection des libertés individuelles, commerce ou gratuité dans la démarche artistique, ces questions sont trop complexes pour que je prétende avoir la solution sur laquelle experts, députés et lobbyistes se battent depuis des mois, voire des années. Je me contenterai de quelques remarques à titre personnel:
- Même si on trouve que Lelouch fait des films de m... ça ne donne pas d'excuse aux gens qui les téléchargent sans payer
- La
license globale
existe au cinéma, comme le fait remarquer Palpatine, avec les cartes illimitées. Cependant les cinémas peuvent compter facilement les entrées de chaque film et donc répartir l'argent de manière fiable et équitable. Comment compter les téléchargements avec Bittorrent ou Kazaa ? C'est impossible en pratique, et c'est pourquoi je suis opposé à la licence globale sur Internet. Pour la même raison je suis opposé à la taxe copie privé qu'on paye sur les CD vierges et disques durs, et qui est répartie sur la base d'études statistiques, c'est à dire au doigt mouillé et en arnaquant lespetits
au profit desgros
. - Sauf à être de mauvaise foi, on ne peut pas nier la relation de cause à effet entre le développement du peer-to-peer et la crise des ventes de disque et de musique en ligne
- L'appareil législatif sur la contrefaçon, conçu pour empêcher la contrefaçon professionnelle (par exemple une usine qui fabriquerait des DVD copiés ou un magasin qui les vendrait), n'est pas adapté au cas du gamin de 14 ans qui télécharge des MP3 sur le PC de sa maman. Il faut clairement que les sanctions sont proportionnées et graduées.
- Quel que soit le cadre législatif, la rupture technologique que constitue la dématérialisation de la musique (et de la vidéo) aura des conséquences énormes sur l'ensemble de l'industrie. Les moins concernés par ce changement pourraient bien être les artistes eux-mêmes, et surtout ceux dont les concerts sont l'activité principale.
Entre le rêve de certains internautes qui n'ont peut-être pas compris que produire un disque ou un film ça demande pas mal d'argent et de travail, et qui voudraient tout gratuit, et le tout-répressif à l'américaine (lire mon article 200.000 dollars d'amende pour une internaute téléchargeuse), existe-t-il une voie moyenne ? On l'espère et on souhaite bon courage à nos députés dont l'agenda est des plus chargés.
Une dernière remarque: nos gouvernements (j'inclus les gouvernements canadiens, américains, européens dans cette phrase) s'occupent beaucoup de lutte contre le piratage
de la musique; on aimerait qu'ils déploient ne serait-ce que la moitié du quart de la même énergie à la lutte contre le spam, qui pourrit littéralement les machines du monde entier et qui coûte des milliards aux entreprises et aux particuliers car on estime que 95% des e-mails échangés dans le monde sont des spams. Alors ? à quand la suspension de la connexion Internet pour les spammeurs ?