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mardi 17 mai 2011

Arkheion #4 Aurélie Loiseleur Wilfrid Wendling

Une immersion complète durant 90 minutes dans l'univers d'une poète et celui d'un musicien. C'est ainsi que je serai tenté de résumer le spectacle Arkheion #4 présenté à la Maison de la Poésie de Paris par Wilfried Wendling (compositeur) et 5 poètes dont celle que j'ai pu écouter (Aurélie Loiseleur).

Dès l'entrée dans le sous-sol de la maison de la poésie, les spectateurs sont immergés dans une performance qui a déjà commencé. Ils sont invités à déambuler dans quatre salles petites et voutées, dans lesquelles jouent quatre musiciens (Irène Lecoq au violon, Cyprien Busolini à l'alto, Deborah Walker au violoncelle, Charlotte Testu à la contrebasse). Ils jouent très doucement et avec de grosses sourdines mais (comme j'allais l'apprendre en discutant avec les musiciens après le spectacle) le son est amplifié, traité en temps réel et spatialisé. La résultante sonore est quelque part entre le bruit blanc et la guitare électrique saturée, ça gratte un peu à mon goût mais c'est assez prenant. Par ailleurs des images d'archives de poètes (Apollinaire, Aragon et bien d'autres) récitant leurs textes sont projetées par courtes séquences sur les murs. Surgissant au milieu de la musique fortement bruitiste de Wendling, la voix des poètes semble avoir traversé le temps et l'espace pour parvenir jusqu'à nous. D'autres images plus abstraites (formes géométriques mouvantes en noir et blanc) sont également projetées.

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Après une dizaine de minutes, les spectateurs puis les musiciens rejoignent un à un la pièce principale où la poète fait son entrée. La récitation va commencer. Pour ce projet, Wilfried Wendling avait préparé une vingtaine de séquences (des « caractères ») où l'on retrouve tous les styles de l'écriture contemporaine pour cordes. On pense à Scelsi par exemple dans la séquence où les quatre instruments, sur la même note, jouent avec des micro-intervalles, des battements, des glissandi extrêmement lents. On pense à Ligeti (2e quatuor, Kammerkonzert) lorsqu'on entend des pizzicati, chaque instrument sur la même note, à des vitesses différentes. On pense à Lachenmann et à d'autres dans les passages purement bruitistes. On pense à Radulecu et aux spectraux lorsque la contrebasse émet un mi grave décoré par des harmoniques en trémolo dans le suraigu des autres cordes. Ou encore à Luigi Nono pour la pièce qu'on entendra en dernier, très dépouillée, au confins du silence. Les musiciens n'ont pas de partition : ils ont mémorisé chaque séquence (dont les éléments de base sont assez simples), ils s'écoutent, accompagnent souplement la récitante et improvisent les transitions.

La poète a pu composer son spectacle en choisissant dans ce « réservoir de propositions » ou « labyrinthe musical » les pièces exécutées avec chaque lecture, ou comme interlude entre deux lectures. Aurélie Loiseleur a également choisi de réciter un poème sans musique, et de faire revenir certains poèmes deux fois, avec une séquence musicale différente (et une manière de réciter différente également). Ses gestes sont sobres mais c'est une véritable performance d'actrice qu'elle nous offre. Par ailleurs la synthèse entre voix parlée et musique fonctionne étonnamment bien. J'avoue qu'en écoutant sur CD avant le spectacle les séquences préparées par Wilfried Wendling, tout en trouvant la diversité d'ambiances intéressante, je me demandais comment les séquences pouvaient s'enchaîner et pourquoi il n'y avait pas vraiment de variations ou de développement à l'intérieur d'une même séquence. Cependant, ces matériaux ne sont pas une composition autonome pour quatuor à cordes mais un point de départ pour l'improvisation et le dialogue avec la voix parlée. Et le résultat final est des plus convaincants : la modernité radicale de Wilfried Wendling (ça pique et ça gratte par moments) s'harmonise parfaitement avec celle des textes d'Aurélie Loiseleur (il faudra un jour que je publie dans ce journal poésie râpe, un beau texte où elle expose sa conception de la poésie dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle se situes aux antipodes des néoromantiques).

L'heure passe aussi vite qu'un clin d'oeil et une fois le dernier mot prononcé, les derniers sont éteints dans un souffle, le public reste un moment silencieux, chacun étant renvoyés à ses propres émotions, à ce que le pouvoir des mots associés à celui de la musique a pu remuer au plus profond. Sans vouloir, faute d'en être capable, rentrer dans le détail desdites émotions (que ne suis-je poète), je voudrait tout de même adresser un joli coup de chapeau aux artistes. Voilà du beau boulot !

A lire aussi: Un Fauteuil pour l'Orchestre, La Terrasse

samedi 9 avril 2011

Orgue et création, à la Philharmonie de Liège

Les salles de concert avec orgue sont devenues rarissimes: depuis la revente de l'orgue du Studio 104 de la Maison de la Radio à Paris en 1997 (les orgues de la salle Pleyel, de la salle Gaveau, du Théâtre des Champs Elysées ayant disparu bien avant), il ne reste qu'un grand orgue dans une salle de concert à Paris, celui de l'Auditorium Maurice Ravel à Lyon (un magnifique instrument construit par Cavaillé-Coll). Et en Belgique, à ma connaissance, l'orgue de la philharmonie de Liège est également le seul du pays. C'est tout de même étrange de constater à quel point l'orgue, qui est l'un des instruments les plus anciens (on le trouve en Grèce antique), et par son utilisation par les cultes catholiques et protestants, l'un des plus répandus dans la tradition musicale occidentale, ait à ce point disparu des salles de concert.

orgue_philharmonie_liege.jpgUne bonne raison de ne pas bouder son plaisir en acceptant la gracieuse invitation de la Philharmonie de Liège à un concert d'orgue gratuit et de surcroît à un horaire fort pratique: midi trente. Une autre raison étant bien sûr de venir écouter le travail de mes camarades organistes et compositeurs du Conservatoire. A ce propos, la différence de culture entre la Belgique et la France est frappante: il est relativement courant d'entendre en Belgique des étudiants et des professionnels confirmés (comme ici Jean-Luc Thellin) se produire lors du même concert, alors que chez nous une véritable muraille de verre sépare les élèves et leurs professeurs.

Quelques mots sur l'instrument. Construit en 1889 à l'apogée de l'orgue romantique, il a été révisé tout récemment, en 2005 (vous trouverez plus de détails sur le site orgue & vitraux ou encore sur celui de la philharmonie). Dans sa version actuelle, il est muni d'une console mobile, d'un programmateur électronique, en somme de tout le confort moderne. Fini les tirettes qu'un acolyte pousse pour enclencher les jeux, et les accouplements mécaniques ! A la place de chaque jeu, une petite loupiote s'allume ou s'éteint, et il suffit d'une seule pression sur un bouton du programmateur pour changer tous les registres d'un coup. Les organistes tournent le dos au public, ce qui est un peu étrange mais permet de regarder le travail des mains et des pieds.

Nous commençons par une Fantaisie de Petr Eben, compositeur tchèque disparu tout récemment (en 2007).  Cette pièce me séduit et me donne l'envie de découvrir davantage ce musicien. Petr Eben connaissait bien l'orgue dont il jouait en virtuose. Dans cette Fantaisie écrite sur des thèmes liturgiques et vraisemblablement basée sur des improvisations, il utilise toutes les ressources de l'instrument pour donner une ampleur symphonique à ses variations. Cette musique vivante et colorée qui évoque Martinu ou Janacek s'écoute avec grand plaisir.

C'est ensuite Gauthier Bernard qui prend les commandes de l'orgue de la Philharmonie pour jouer d'abord une pièce de sa composition puis une autre de Sarah Wéry. Sans vouloir ranimer la guerre du feu entre les classes d'Écriture et de Composition, la succession des deux pièces illustre bien les forces et les faiblesses de chaque approche. La pièce de Gauthier Bernard est très bien maîtrisée du côté harmonie et contrepoint, mais également sur le plan instrumental (c'est l'avantage dont dispose l'interprète-compositeur). Cela dit, il fait sonner l'orgue de façon plutôt traditionnelle. La pièce de Sarah Wéry, par contraste, paraît plus personnelle bien qu'elle sous-utilise les possibilités de l'instrument et soit moins riche en contrepoint. On y trouve certains gestes comme cet arpège rapide et léger qui traverse tout un clavier qui sont assez peu dans la tradition des organistes et par là même tout à fait intéressants à écouter. C'est un peu délicat bien sûr de bloguer sur des pièces écrites par mes camarades: aussi tiens-je à rappeler que ce sont uniquement des impressions  subjectives que je livre, et qu'il y a des professeurs qui sont chargés de juger, de donner des conseils et de mettre une note (ou plutôt une "cote" comme on dit à Liège), ce que je me garderai bien de faire dans ce journal.

Le concert se poursuit avec les Alléluias sereins d'Olivier Messiaen, un pur moment de bonheur surtout pour un fan comme moi. Entendre la divine musique de Messiaen sans avoir à se geler les miches dans une église qui sonne mal et trop, c'est vraiment avoir un avant-goût du paradis.

Ensuite vient une pièce de Pascal Dusapin intitulée Memory. Censée être un Hommage crypté et monomodal à Ray Manzarek (musicien américain qui tenait les claviers pour le groupe The Doors), c'est surtout une pièce hautement soporifique et dont l'intérêt musical doit être crypté lui aussi car il m'a totalement échappé.

Pour terminer, nous entendons la Suite pour orgue de Stefan Pitz. Une série de pièces spectaculaires et virtuoses qui explorent non seulement les possibilités de l'orgue, mais aussi celles de l'orgue de la philharmonie en particulier. Parmi les techniques employées, le jeu vertical (sur plusieurs claviers avec une seule main) ou les changements de registration sur une note tenue (à part une sorte de claquement lorsque les tuyaux se mettent en vibration, cet effet-là ne produit d'ailleurs rien d'extraordinaire). De cette exploration tous azimuts, il ressort une gamme d'émotions et d'atmosphères très variées, un peu inégales car certaines parties fonctionnent mieux que d'autres. Bien qu'il y ait sans doute dans cette partition des éléments structurants, je n'ai guère trouvé à l'oreille de fil rouge musical ou émotionnel qui relierait les parties entre elles pour construire une narration. Il n'en reste pas moins que cette pièce est la plus audacieuse et la plus développée de ce que nous avons entendu ce jour. Et que les trois pièces présentées par les jeunes compositeurs étaient, chacune à sa façon, autrement plus stimulantes et réussies que la très décevante pièce de Dusapin.

Outre les artistes eux-mêmes (Edward Vanmarsenille, Evgenia GalyanGauthier Bernard, Thomas Groenweghe, Jean-Luc Thellin) il faut remercier et féliciter les professeurs Anne Froidebise et Michel Fourgon pour une initiative qui perpétue l'esprit de création et d'innovation insufflé par Henri Pousseur au conservatoire de Liège, et qui semble encore bien vivace aujourd'hui.

samedi 12 mars 2011

KABrass: danse avec les cuivres (concerts les 12 et 13 mars)

Je publie ce billet bien tardivement, pour rappeler les concerts de l'ensemble KAbrass, dans un nouveau programme "Danse avec les Cuivres", sous la direction de la jeune et très prometteuse Elisabeth Askren, le 12 mars (aujourd'hui donc) à 17h à Paris dans l'Eglise Suédoise et le 13 mars au Mesnil-le-Roi dans les Yvelines. Les détails sont sur le site de KAbrass. Venez nombreux !


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dimanche 6 mars 2011

Bartholomée, Seba, Lachenmann et Pagliei par le Quatuor Danel à Liège

Ouï à la philharmonie de Liège le 3 mars dernier, un concert de l'excellent Quatuor Danel donné dans le cadre du festival Ars Musica, avec la participation du centre Henri Pousseur (ex-CRFMW) pour l'électronique.

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lundi 14 février 2011

Le paradis selon Anderson, Carter et Saariaho

Entendu vendredi dernier à la Cité de la musique, un concert de l'Ensemble inter-contemporain donné dans le cadre d'un cycle sur le thème du Paradis.

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lundi 6 décembre 2010

Concert Bartholomée à la philharmonie de Liège

Relativement peu connu en France, Pierre Bartholomée a fait l'essentiel de sa carrière à Liège dont il a dirigé la Philharmonie pendant une vingtaine d'années. Il fait partie des compositeurs et chefs d'orchestre mis à l'honneur par cette même philharmonie qui célèbre cette année son cinquantième anniversaire, comme le rappelle l'actuel directeur, Jean-Pierre Rousseau dans sa présentation. En prélude aux concerts anniversaire du 7 au 9 décembre, qui permettront d'entendre la création d'une symphonie, elle proposait un concert de musique de chambre gratuit et sur l'horaire de la pause déjeuner, ce qui laisse peu d'excuses pour ne pas y assister.

Nous avons pu entendre trois pièces, par ordre chronologique inversé. La première est un trio pour flûte, alto et harpe écrit en 2001 intitulé Et j'ai vu l'âme.. elle dansait sur un fil et composé de sept moments, ou plutôt, pour reprendre la terminologie employée par le compositeur, une « phrase » constituée de sept « mots ». Chaque « mot » est un moment de musique qui est présenté, mais pas développé. Certains matériaux sont repris d'un « mot » à l'autre, ainsi que les syllabes dans une phrase. Je dois bien avouer que cette musique m'a séduit, et chaque morceau m'a paru trop court (ce qui est en général bon signe). Les harmonies sont douces tout en échappant à la banalité des formules tonales toutes faites; chacun des trois instruments est utilisé au meilleur de ses possibilités, et dialogue aimablement avec les autres. Même s'il y a des passages plus rythmiques et énergiques que d'autres, l'impression qui domine est celle d'une musique tout en douceurs qui ne s'impose pas par la force. La référence à Debussy et à sa Sonate pour flûte, alto et harpe est inévitable et d'ailleurs rappelée par Pierre Bartholomée. Si les sonorités ne sont pas aussi originales que ce qu'ont écrit par exemple Sofia Goubaïdoulina ou Kajia Saariaho pour la même formation, le tout est vraiment de très bonne facture et s'écoute avec grand plaisir.

Le compositeur nous invite ensuite à remonter un peu dans le temps (1997 je crois) pour écouter une autre série de sept miniatures, pour une formation beaucoup plus insolite: violon et trombone. Contre toute attente, cela fonctionne assez bien, y compris dans les passages où le trombone joue dans un registre plus aigu que le violon. C'est bien sûr grâce aux interprètes: d'une part la violoniste Izumi Okubo a tellement de son qu'une armée de trombones ne sauraient la « couvrir »; d'autre part Alain Pire, son partenaire, écoute et sait doser le son d'un instrument dont on oublie parfois qu'il est capable des pianissmi les plus délicats en plus d'avoir un éclat incomparable dans les nuances forte. Là encore, chaque miniature paraît presque trop courte, on ré-écouterait bien l'ensemble une deuxième fois. Pierre Bartholomé, qui parle de sa musique avec simplicité et des musiciens qui la jouent avec bienveillance, nous explique qu'il a utilisé certains « objets trouvés » dans ces pièces, c'est-à-dire des matériaux musicaux tirés d'oeuvres ou d'esquisses plus anciennes. Ce qui n'a rien d'insolite au demeurant: les compositeurs ont presque tous pratiqué l'auto-citation et l'auto-arrangement (certains plus que d'autres comme Bach ou Chostakovitch).

C'est ensuite Mezza Voce pour piano, violon, clarinette et percussions qui nous est présenté. Cette pièce écrite dans les années 1970 (c'est de la « musique ancienne » plaisante le compositeur) a été écrite à la mémoire de Louis Robert, compositeur disparu prématurément et au sujet duquel Pierre Bartholomée nous rapporte une anecdote tout à faire significative. Louis Robert avait écrit une pièce pour orchestre où l'accord de l'orchestre (le moment où tous les instruments jouent n'importe quoi en même temps), ce chaos originel, se transforme et s'organise progressivement, les musiciens utilisant des improvisations basées sur des motifs et des « réservoirs de notes ». Le chef d'orchestre arrive ensuite et prend les rênes pour une section centrale plus rythmique. Puis il pose la baguette et quitte la scène; la musique retourne alors progressivement au chaos. (Je n'ai pas entendu cette pièce: j'en rapporte simplement la description qu'en donne P. Bartholomée). Ce qui est remarquable c'est que le public habituel de la Philharmonie a très mal accueilli cette pièce lors de la création (un « gros scandale » nous dit P. Bartholomée) alors que la même pièce a connu un grand succès deux jours plus tard, donnée par les mêmes interprètes, lors d'un concert pédagogique dédié aux familles et précédé d'une courte présentation par le compositeur. Que pouvons-nous en retenir ? D'abord que le public pour un artiste est comme le vent pour un skipper: tantôt favorable, tantôt contraire, et parfois très prompt à passer de l'un à l'autre. Ensuite que les publics de mélomanes avertis (ceux qui ont un abonnement aux concerts symphonique ou à l'opéra) sont bien souvent horriblement conservateurs et frileux, enclins à juger avec sévérité tout ce qui est nouveau et qu'ils ne connaissent pas (aussi bien pour les interprètes que pour le répertoire d'ailleurs). Tandis que les publics plus divers et moins « cultivés » qu'on peut constituer lors d'occasions spéciales comme les festivals où les concerts dans des lieux insolites (usines, prisons, centre de congrès, plein air) sont souvent plus réceptifs et demandeurs d'émotions qui ne soient pas formatées ou pré-programmées.

Fermons la parenthèse et revenons à Mezza Voce. C'est un quatuor mais une seule des sept parties mobilise les quatre instruments: les solos et duos prédominent. Cette oeuvre est tendue, austère, sombre et elle parvient à créer une atmosphère très intense avec une grande économie de moyens. A titre purement subjectif, je lui trouve une force expressive sans commune mesure avec les autres pièces pourtant pas dépourvues de qualités. Notons au passage qu'elle comporte une pièce pour clarinette qui n'a pas été jouée lors de ce concert parce qu'elle est trop difficile et utilise beaucoup le suraigu. Comme je déteste cordialement le suraigu de la clarinette au-delà d'une demi-seconde, je ne saurais m'en plaindre. Cela dit on peut rendre hommage à l'excellent Jean-Pierre Peuvion, grand interprète de la musique contemporaine, qui avait joué et enregistré la pièce à l'époque de sa création.

Voilà donc un compositeur tout à fait intéressant et dont j'entendais la musique pour la première fois (sans doute parce que je ne vis pas en Belgique). Que peut-on en conclure ? Que le monde est vaste, que mon ignorance l'est plus encore et que fort heureusement il me reste bien d'autres découvertes tout aussi réjouissantes à faire.

lundi 22 novembre 2010

Des Harmonies un peu trop sages

Entendu samedi dernier salle Gaveau, l'intégrale des Harmonies Poétiques et Religieuses de Franz Liszt par Brigitte Engerer (piano) et Daniel Mesguich (récitant).

Commençons par saluer l'initiative de la salle Gaveau: toute une série de concerts d'une heure à 8 euros, c'est idéal pour venir en famille par exemple et la joyeuse bousculade qui se produit à chaque début / fin de concert entre ceux qui arrivent et ceux qui sortent n'est pas sans rappeler la Folle Journée de Nantes auquel le titre de "Folle Nuit" choisi par la salle Gaveau se référait implicitement. Côté réserves, on peut relever la pauvreté de l'instrumentarium: du piano, du piano, et encore du piano. Au besoin à 4, 6, ou 12 mains ! Bon d'accord je sais que la Salle Gaveau est l'un des temples et peut-être même le temple du piano à Paris, mais tout de même.

Embaucher un récitant pour dire les poèmes de Lamartine avant chaque pièce est une excellente idée: Liszt n'a pas seulement emprunté le titre du recueil et celui des pièces à son ami Alphonse de Lamartine: il s'est donné la peine de copier de larges extraits des poèmes qui l'ont inspiré en tête de la partition. L'autre avantage est que les applaudissements sont relégués en fin de concert, ce qui favorise l'immersion dans le cycle. Daniel Mesguich est surtout connu comme metteur en scène de théâtre (et à l'occasion, d'opéra), il m'a donné l'impression de compter davantage sur l'expérience que sur une grande préparation pour dire ces textes magnifiques. Sa voix n'est pas amplifiée, ce que je trouve très bien compte tenu de la petite jauge de la salle Gaveau, mais j'ai entendu d'autres auditeurs se plaindre qu'ils ne distinguaient pas bien les paroles.

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Passons à la musique. On ne présente plus Brigitte Engerer (nous avons parlé dans ce Journal entre autres d'un excellent disque avec les sonates Grieg et d'un autre avec le Via Crucis de Liszt). Ses qualités ne sont pas à démontrer, aussi puis-je avouer sans remords ma relative déception devant ce que j'ai entendu. Il y a chez Liszt une double personnalité: la première est mystique, contemplative, voire sombre et austère; la deuxième est brillante, emportée, fougueuse, et l'a conduit à dépasser, à transcender les limites de son instrument. Ces deux visages de Franz Liszt se combinent dans la très longue et très belle Bénédiction de Dieu dans la Solitude, un sommet absolu de la littérature pianistique qui ne peut se comparer qu'à une poignée d'autres (certaines me viennent en tête comme le mouvement lent de la Sonate Hammerklavier de Beethoven, Corpus Christi en Sevilla dans le cycle Iberia d'Albeniz, ou encore Vers la Flamme de Scriabine). Cette bénédiction débute très doucement par une longue mélodie chantée par la main gauche en Fa # majeur (tonalité divine chez Liszt). Cette mélodie est reprise, développée et variée de telle sorte qu'on arrive après un immense crescendo à un véritable moment d'extase, de frénésie, de transe. Philip Thomson qui a enregistré les Harmonies pour Naxos, écrit de cette pièce qu'elle exige de l'interprète comme de l'auditeur qu'ils abandonnent leur pensée consciente lors du sommet émotionnel de cette pièce. Malheureusement je n'ai rien ressenti de tel: nous sommes restés sur terre. Peut-être est-ce dû à certains choix d'interprétation de Brigitte Engerer: pour construire les crescendos, elle élargit le tempo, semble ajouter des "rit" et des points d'orgue un peu partout. Cela va bien dans le sens du Liszt méditatif mais pas dans celui du virtuose fougueux et passionné. Du coup cette Bénédiction n'est guère plus qu'un long adagio très ornementé, avec de fort belles couleurs.

Les mêmes qualités (et le même défaut) sont audibles dans les autres pièces du recueil: ainsi l'évocation ne manque pas de puissance, mais j'aurais aimé sentir plus d'énergie dans ces fusées typiquement lisztiennes qui alternent avec de puissants accords:

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Pour dire vrai, dans ce type de formules, je préfère entendre un(e) pianiste qui y va à fond la caisse et me fait ressentir un élan irrésistible, même s'il manque quelques notes, plutôt qu'un arpège bien régulier et par conséquent bien ennuyeux.

De même si le début de Pensées des Morts était très prenant en tant qu'illustration de l'Ennui romantique, l'explosion de violence qui suit manquait un peu de violence justement. Et si le glas qui ouvre Funérailles était sombre et menaçant à souhait, la suite de la même pièce était plus conventionnelle.

En résumé, de belles couleurs, une maîtrise parfait de bout en bout, mais une vision un peu trop méditative, un Liszt un peu trop installé à mon goût. Où est le petit grain de folie qui change tout ?


samedi 13 novembre 2010

Concerts de Novembre et Décembre 2010 à Paris

Voici quelques-uns des concerts qui figurent sur mon agenda d'ici à la fin de l'année (je ne pourrai pas assister à tout malheureusement en raison d'un emploi du temps des plus chargés):

  • Samedi 13 novembre à 20h à la Scots Kirk (église écossaise) de Paris, 17, rue Bayard, un récital chant et piano du baryton Clément Dionet accompagné par Thomas Le Colleter (les détails sur facebook)
  • Du 11 au 20 novembre au théâtre du Tambour Royal, Les amants fous (chant &piano, danse) chanté et mis en scène par  la très charmante Oriane Moretti
  • Du 16 novembre au 6 décembre, l'opéra de Paris donne Mathis der Malher, opéra d'Hindemith d'écriture plutôt néo-classique et d'une grande beauté. Mise en scène Olivier Py, direction Christophe Eschenbach. En complément, le 23 novembre, ceux qui aiment l'alto pourront entendre Antoine Tamestit jouer les sonates pou alto (seul et avec piano) du même Hindemith au petit auditorium de l'opéra Bastille. Et le quatuor Danel donnera les Quatuors numéros 4 et 6 du même compositeur le 30 novembre. Ces quatuors qui sont très rarement joués valent largement ceux de Bartok ou (Schön)Berg à mon avis.
  • Mercredi 17 novembre à l'auditorium Saint Germain, le quintette de Schumann pour accompagner le vernissage de peintures d'Etienne Yver
  • Les 20 et 21 novembre salle Gaveau, la Folle Nuit qui comme son nom ne l'indique pas, se déroule sur deux journées de 13h à minuit. Au programme: du piano, du piano et encore du piano. Un tarif unique de 8 euros pour des concerts d'une heure. Je me suis laissé tenté par l'intégrale Harmonies Poétiques et Religieuses de Liszt, par Brigitte Engerer et avec un récitant pour déclamer les poèmes de Lamartine correspondant à chaque pièce du cycle.
  • Le 27 novembre salle Gaveau toujours, une journée « Rencontrer l’Ame Bulgare »
  • Du 3 au 5 décembre au Conservatoire Régional de Paris (rue de Madrid), le festival VioloncellenSeine avec des masterclasses, un concours de lutherie, un concours pour jeunes instrumentistes, et des concerts, le tout autour du violoncelle bien sûr
  • Le 3 décembre à la basilique Sainte Clotilde à 20h30 (Métro 12 - Solférino) concert de l'Orchestre Moderne dans un programme Fauré-Suk-Korngold-Holst-Ibert (Entrée libre).
  • Le 4 décembre au lycée Jean-Baptiste Corot à 19h à Savigny sur Orge (RER C), le même programme par le même ensemble
  • les 4 et 5 décembre, un programme « Symphonie Américaine » par mes amis de l'ensemble de cuivres KABrass avec une nouvelle chef à la baguette:Elizabeth Askren
  • les 9, 11, et 12 décembre, concerto de Mendelssohn et symphonie de Schumann par mes amis de l'orchestre symphonique Ut Cinquième, avec l'excellent Thierry Huchin au violon (je me souviens d'un concerto de Beethoven joué en concert avec lui il y a quelques années et qui fait partie des meilleurs enregistrements de cet ensemble).
  • Enfin, jusqu'à Janvier prochain, on peut et on doit aller visiter l'exposition Lénine, Staline et la musique à la Cité de la Musique et assister à l'un des concerts qui lui sont associés.
Avec tout ces beaux concerts et tous ceux que je n'ai pas mentionnés, s'il vous reste du temps pour faire des courses de cadeaux de Noël, c'est que vous êtes décidément un con-sot-mateur irrécupérable dont tout le temps de cerveau humain disponible a été accaparé par TF1.

mardi 5 octobre 2010

Flûte, flûte, flûte, flûte (Répliques "Souffles" par l'Ensemble Itinéraire)

Voilà un programme de concert comme je les aime: il y a de l'exotique (pièces traditionnelles et contemporaines pour shakuashi), de la musique ancienne (pièces pour traverso), de la musique d'aujourd'hui (Besty Jolas, Luciano Berio, Yoshihisa Taïra). Bref c'est l'antithèse du concert-type de la salle Pleyel, avec un concerto de Beethoven suivi d'une symphonie de Brahms (ou l'inverse), et pas une once d'imagination.

C'est l'ensemble Itinéraire qui l'organise, et ça se passe à l'auditorium du marché St Germain le 12 octobre prochain. Ma seule réserve concerne l'horaire du concert: 19h30, ça n'est pas des plus pratique pour les gens qui travaillent.

Le programme détaillé se trouve ici.

Voyages de vive voix le 11 octobre 2010 salle Gaveau

Karine Lethiec, directrice de l'ensemble Calliopée, qui propose des programmes sortant souvent des sentiers battus mais toujours d'une grande qualité, m'a envoyé le programme d'un concert auquel l'ensemble Calliopée participe.

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Voyages de vive voix est une rencontre autour de la voix et de la musique entre des artistes professionnels, des chanteurs autistes et leurs éducateurs nous dit Catherine Boni, chef de choeur. Le baryton Laurent Naouri, qui participe au concert, témoigne: Si tant est que l’autisme peut rendre la communication entre les êtres délicate, je suis certain que la musique, en nous forçant à nous écouter les uns les autres, nous a permis de mieux nous entendre. N'ayant pas encore eu l'occasion d'entendre ce groupe sur scène, je n'ai rien à y ajouter mais je serai prêt à parier que l'enthousiasme et l'émotion qui accompagnent manifestement ce projet vont de pair avec une grande exigence musicale. A découvrir, donc, pour les Parisiens, le lundi 11 octobre 2010 salle Gaveau.

lundi 20 septembre 2010

Boulez: "un certain parcours" en vidéo

Le double concert "Un certain parcours" que Pierre Boulez s'était vu offrir en juin dernier pour son anniversaire Salle Pleyel est encore pour quelques jours écoutable (et regardable) gratuitement sur la page VOD du site de la Cité de la musique.

La qualité et la diversité des oeuvres proposées, ainsi que l'impeccable prestation de l'Intercontemporain et de l'Orchestre de Paris sous la direction froide mais très précise efficace de Pierre Boulez, justifient amplement qu'on recommande ce concert à nos lecteurs. Certes l'écrasement de toute la richesse sonore et spatiale d'un grand orchestre sur deux canaux stéréo (et compressés en plus) retire quelque chose au plaisir, mais n'est-ce pas le cas de tout concert en vidéo ? Parmi mes coups de coeur au rayon "découvertes":

  • Donatoni (Tema pour 12 instruments) dont la volubilité toute italienne fait bien sûr penser à Berio en moins agressif
  • Helen Grimes (Virgo pour grand orchestre) dont je découvre la musique, très personnelle et riche en émotions
J'étais moins enthousiaste en ce qui concerne la pièce de Dalbavie qui clôture le second concert (c'est ennuyeux, ça se répète, on dirait du Mantovani...). Après ré-écoute, la description que Palpatine donnait de Notations II de Boulez (imaginez qu'une armée de nain mette le zouc dans votre cuisine, et tape sur les casseroles) est assez juste, si l'on ajoute que ledit zouc ne dure pas longtemps, reste très maîtrisé (la logique implacable des séries) et peut être très réjouissant à entendre si on a l'esprit tordu comme moi.

Côté réserves, notons que les changements de plateau sont effectivement assez nombreux (on peut les zapper en vidéo, mais on comprend que cela ait agacé certains critiques et blogueurs) et le côté "best of" de la programmation (aucune pièce ne dépasse les 6 minutes) qui nous prive du plaisir d'entendre les oeuvres en entier. Le choix s'étant plutôt porté sur les mouvements rapides et virtuoses dans les cycles comme le Kammerkonzert de Ligeti ou Quatre Dédicaces de Berio, on peut également comprendre les réactions négatives de ceux qui n'aiment pas trop le contemporain.

Quoi qu'il en soit, à 85 ans, Pierre Boulez reste fidèle à lui-même, exigeant avec les musiciens et avec le public, refusant toute forme de facilité. Quant à savoir ce que cache ce masque impénétrable lorsqu'il dirige, c'est une toute autre histoire...

Spectaculaire, la fête des sorties culturelles

Spectaculaire est le nom d'un mini-festival qui se déroule à Paris 13e, à la Bibliothèque François Mitterrand et dans quelques lieux proches. En deux journées seulement (le 25 et 26 septembre 2010) sont programmés une petite centaine de spectacles gratuits, où tous les arts et tous les styles sont représentés. Plutôt que le site Internet dont les animations flash sont fatigantes à regarder, je vous invite à consulter le programme complet (en PDF).

Les mélomanes pourront notamment se réjouir les oreilles avec une opérette (Phiphi, qui est également donné à L'Athénée-Louis-Jouvet en ce moment) ainsi qu'un duo d'altistes (Adrien La Marca et Adrien Boisseau) qui est programmé dans une péniche appelée le Café Fou (ça ne s'invente pas !).

samedi 11 septembre 2010

Les sonates pour violon et piano d'Olivier Greif à Paris le 13 septembre 2010

Lundi 13 Septembre prochain à 20h, au théâtre de l'Athénée-Jouvet à Paris, aura lieu un  récital de Stéphanie Moraly (violon) et Romain David (piano). Au programme la 1e et la 3e sonate d'Olivier Greif, "The Meeting of the Waters", dont ces deux interprètes ont réalisé le premier enregistrement discographique (chez Triton, un disque dont nous reparlerons sans doute dans ce journal).

Au programme également, la sonate de Franck ainsi que des pièces de Milhaud et Chostakovitch.

On ne saurait trop recommander ce concert qui constitue une occasion privilégiée d'entrer dans la musique de Greif, servie par un magnifique duo dont le jeu passionné et inspiré ne peut pas laisser indifférent.

vendredi 6 août 2010

Le miel inaltérable... pour deux pianos par Pascal Devoyon et Rikako Murata

Le 3 août dernier a eu lieu la création d'une pièce pour deux pianos que j'ai écrite pour Pascal Devoyon et Rikako Murata ("le miel inaltérable..." basé sur un poème de Yourcenar). J'ai découvert ces pianistes il y a deux ans et j'ai tout de suite été séduit par la finesse sonore, la perfection technique, la complicité qui les unit et le plaisir tout à fait communicatif qu'ils partagent avec le public. Le journal de Papageno consacre d'ailleurs un article à l'un de leurs disques. Pour le dire en un mot, ils m'ont fait aimer un répertoire et une combinaison instrumentale qui ne m'était pas familière du tout: le duo de pianos.

Aussi est-ce tout naturellement que je leur ai envoyé la partition de ma première pièce pour deux pianos, en avril dernier. J'ai été agréablement surpris lorsqu'ils m'ont répondu qu'ils aimaient bien cette pièce et qu'ils la programmeraient au festival Musicalp 2010 à Courchevel. Lors d'une répétition précédant le concert, et bien que je m'attende au meilleur, j'ai été soufflé: il n'y avait pas une note qui ne soit parfaitement à sa place, pas une indication de détail qui ait été omise. J'aime laisser aux interprètes autant d'autonomie que possible, mais c'est tout de même la première fois que la seule remarque qui me vienne soit: "C'est très bien. Ne changez rien". Le concert s'est déroulé tout aussi bien, très convivial, beaucoup de monde, interprétation parfaite. En plus des félicitations d'usage, il m'a surtout permis de nouer des contacts avec par exemple Sang Jin Kim, un excellent altiste qui programmera peut-être mon quatuor d'altos en Corée.

"Un compositeur qui montre son oeuvre est comme un enfant qui montre un dessin". Si c'est un bien modeste cadeau que j'avais fait à Pascal Devoyon et Rikako Murata, c'en est un bien plus grand que j'ai reçu en retour avec cette création qui fut un très bon moment. Et leur générosité ne s'arrête pas là puisqu'ils m'ont donné l'autorisation de partager avec vous un petit bout de MP3-souvenir:

N'hésitez pas à vous joindre à moi et à leur envoyer un petit mot de félicitations par courrier électronique si vous appréciez leur travail.

lundi 7 juin 2010

Concert Trouvères mardi 8 juin 2010 à l'ENS

J'ai le plaisir de vous inviter au prochain Concert Trouvères qui prendra place à l'ENS (45 rue d'Ulm Paris, Salle des Actes, 1er étage à droite) le mardi 8 juin à 20 heures, c'est à dire demain ! Avec le pianiste et compositeur Thomas Lavoine, nous jouerons la Suite Hébraïque d'Ernst Bloch ainsi que Huit Miniatures pour alto et piano de ma composition dont ce sera la première audition publique en France.

L'édition du programme ayant pris un peu de retard, je n'ai pas encore le détail de ce que joueront mes amis des Trouvères. Disons que c'est un concert surprise pour célébrer la fin de l'année universitaire !


mercredi 2 juin 2010

Happy Seventies à la philharmonie de Liège

Il n'y a pas beaucoup de conservatoires où l'on propose aux élèves de monter un programme Kagel-Berio dans le cadre de la classe de musique de chambre. C'est pourtant bien ce qui se passe au conservatoire de Liège, où l'esprit d'Henri Pousseur semble encore souffler. Sous le titre Happy Seventies ! et avec une belle affiche haute en couleurs, les jeunes musiciens nous proposaient le 31 mai dernier de redécouvrir cette musique qui a été contemporaine (pour nos parents) et commence maintenant à s'installer dans le répertoire.

En première partie, Exotica de Mauricio Kagel. Comme son nom l'indique, c'est une œuvre destinée aux instruments extra-européens. Lorsque les spectateurs arrivent, les neuf musiciens, déguisés en hippies pour la circonstance, sont déjà sur scène, assis en tailleur, silencieux. Le public s'installe non dans les fauteuils de la salle philharmonique mais sur les gradins normalement destinés à l'orchestre. La partition (à laquelle j'ai pu jeter un coup d'oeil après le concert) ne comporte en fait aucune indication d'instrumentation: il y a six fois deux portées, la première portée étant pour le chant et la deuxième pour les instruments à hauteur déterminée ou non. C'est donc aux interprètes d'utiliser les instruments à leur disposition et de sélectionner les combinaisons instrumentales qui sonneront bien. Parmi les instruments prêtés par le Music Fund pour le concert: un duduk (qui s'apparente à notre hautbois), des flûtes de toute taille, une trompette sans pistons, et de la percussion bien sûr. Il n'y a apparemment pas de paroles mais uniquement des syllabes sans signification ou encore des enchaînements de voyelles (par exemple A-E-I-O)

Malgré le charme des instruments aux sons étranges et familiers à la fois (avec la radio, la télévision, le cinéma, et pour finir internet, les occasions d'entendre les musiques du monde comme on les appelle aujourd'hui ne manquent pas), cette Exotica traîne un peu en longueur et les chants et danses enregistrés qui sont diffusés en sus de la musique jouée sur scène paraissent bien peu nécessaires. Il l'étaient peut-être davantage il y a 40 ans lorsque cette œuvre a été créée. Par ailleurs les musiciens jouent en rythme et chantent juste, sans être forcément des chanteurs ou des percussionnistes, et le son n'a pas toujours l'intensité, la chaleur ou l'aisance qui viennent seulement après une longue pratique.

Après un entracte, c'est Laborintus II (1965) de Luciano Berio que nous pouvons entendre, et qui est d'une toute autre portée que le sympathique mais superficiel Exotica. Commençons par décrire le plateau. Au premier rang, les instruments par groupes de trois: violoncelles et contrebasse, clarinettes, trompettes, trombones. Également au premier rang, une récitante munie d'un micro et une flûtiste sur une estrade. A gauche et à droite, disposés symétriquement, deux harpes et deux percussionnistes. Derrière, les chanteurs et récitants. Enfin des hauts-parleurs qui diffuseront autant les voix parlés et chantées que la partie de 'bande magnétique' qu'on entend dans la deuxième moitié.

C'est la voix sous toutes ses formes (criée, parlée, chantée, murmurée, chuchotée) est le moteur de de Laborintus, laboratoire ou labyrinthe de sons étranges et beaux. Les textes en italien se mélangent et se superposent: Sanguineti, Dante, extraits de la bible. Certains passages sont tellement volubiles et agités qu'on se croirait dans une scène de foule d'un vieux film de Fellini, d'autres sont plus calmes. Berio a utilisé et mélangé des matériaux de toute sorte pour cette pièce: on peut y distinguer aussi bien des allusions au free jazz qu'à l'opéra italien. Une improvisation est d'ailleurs prévue dans la section centrale de cette pièce. Curieusement, et bien qu'elle soit réalisée avec beaucoup de fougue et d'enthousiasme par mes camarades du conservatoire de Liège, cette partie sonne comme du jazz assez conventionnel et formaté, elle n'a pas la richesse incroyable des combinaisons sonores qui suivent lorsque le chef reprend la baguette.

Il n'est pas facile de trouver les mots pour décrire mes impressions. L'impression générale est celle d'avoir partagé avec les interprètes et le reste du public un moment d'intense jubilation (ce qui est bien légitime si l'on se souvient que cette musique a été écrite pour le jubilé des 700 ans de Dante Alighieri). Pour le reste, décrire en détail, et avec des mots, mes impression devant chaque moment de cette musique haute en couleurs et en contraste est impossible. Disons simplement que je l'avais écouté au disque (dans le mythique enregistrement réalisé par Berio lui-même en 1970) et avec un certain plaisir mais que vivre cette musique en concert lui donne une tout autre dimension.

C'est sans doute également une question d'interprétation. On trouve sur Youtube une version donnée récemment par l'ensemble inter-contemporain de la même pièce. C'est très pro, il n'y manque pas une note mais l'attitude est musiciens est tout autre (observez l'expression faciale ou l'attitude corporelle des musiciens qui attendent leur tour pour jouer, c'est tout à fait parlant), le résultat est assez froid et manque finalement de ce petit grain de folie et d'enthousiasme qui fait toute la différence.

mercredi 21 avril 2010

Piano microtonal à Liège

La conservatoire de Liège propose un concert gratuit autour du piano microtonal le 21 avril 2010 à l'espace Henri Pousseur (oeuvres de Ivan Wyschnegradsky, Bruce Mather, Jean-Yves Colmant). Encadrés par Pierre Thomas et Brigitte Foccroule, les élèves pianistes du conservatoire ont pu découvrir le piano au 1/16e de ton, dont le clavier de 85 touches est identique à celui d'un piano, mais qui couvre seulement un ambitus d'une octave car l'écart entre deux touches consécutives n'est pas d'un demi-ton mais d'un seizième de ton. Ils utilisent également un autre dispositif plus classique, si j'ose dire: deux pianos dont l'un est accordé un quart de ton plus bas que l'autre.

La barrière du demi-ton, le fait qu'on ne puisse pas jouer finement sur la hauteur d'une note, est une des principales limitations des instruments à clavier comme le piano moderne. Si on la fait sauter c'est vraiment tout un monde de nouvelles possibilités qui s'ouvre, et qui n'a été que très peu exploré jusqu'à présent. Il n'y a qu'un seul facteur de pianos qui en propose à ma connaissance (l'allemand Sauter). Le premier exemplaire a été présenté par le compositeur mexicain Julian Carrillo en 1958 à Bruxelles, et il a suscité un certain nombre de compositions depuis les années 1960 à aujourd'hui même si la rareté de l'instrument limite leur diffusion. Pour construire un piano en 1/16e de tons, on ne peut pas prendre un piano ordinaire et changer les cordes: le cadre est entièrement différent car la longueur des cordes varie très peu entre le do grave et le do aigu qui sont séparés d'une octave seulement.

Comment sonne un piano microtonal ? Au début un peu étrange, un peu "faux" surtout les gens qui comme moi ont l'oreille absolue et la mauvaise habitude d'étiqueter les notes (les gens qui entendent 'sol-sol-sol-mi bémol' et non 'pom-pom-pom-pooom'). Après une courte phase d'adaptation, on commence à écouter les battements, les résonances, les frictions, à prêter l'oreille à ces déplacements mélodiques infimes, et à prendre du plaisir ! Contrairement au demi-ton qui est une dissonance assez dure (la plus dure qui soit, nous apprend l'acoustique morphologique), le seizième de ton produit des battements assez doux.
L'ambitus d'une octave est certes un peu étroit mais on contourne souvent cette difficulté en couplant le piano microtonal avec un piano ordinaire, qui pourra donner des basses aussi bien que des aigus pour renforcer harmoniques supérieures.

Un peu plus proche des sensations habituelles le piano en 1/4 de tons donne déjà une coloration harmonique et mélodique tout à fait exotique et intéressante. Je vous invite à regarder par exemple la vidéo extraite d'un documentaire sur la chaîne Mezzo sur le compositeur Zad Moultaka, ou encore à écouter ces trois pièces de Charles Ives, un des précurseurs des micro-intervalles, pour deux pianos accordés au quart de ton:

En tout cas c'est un beau coup de chapeau que méritent les enseignants du conservatoire de Liège pour ce concert (qui n'est qu'un projet parmi d'autres dans une programmation très riche qui marie les classiques avec le jazz, l'improvisation et la musique contemporaine). Malheureusement, ça n'est pas dans les conservatoires français, dédiés au culte exclusif de Chopin, Liszt et Rachmaninoff en ce qui concerne le piano, qu'on voit souvent ce type d'initiative.


samedi 10 avril 2010

Quelques concerts d'avril 2010 à Paris

Parmi les centaines de concerts proposés aux parisiens en ce mois d'avril 2010, en voici quelques-uns qui ont retenu mon attention, même si mon emploi du temps ne me permettra pas d'assister à tous ces belles propositions:

  • Dimanche 11 avril 2010 à 17h, Salle Pleyel, l'orchestre du CRR de Paris joue Beethoven et Bruckner. Entrée libre, billets à retirer à partir du 6 avril au CRR de Paris, 14 rue de Madrid Paris 8e (service d'action culturelle).
  • Lundi 12 avril 2010 à l'Opéra Bastille, Pierre Boulez dirige Messian: Chromochronie, Et expecto ressurrectoinem mortuorum,Poèmes pour Mi. Il semble qu'il reste des places, n'hésitez pas à vous faire du bien.
  • Mardi 13 avril au Théâtre du Ranelagh, musique de chambre avec une bonne dose de Brahms et une pincée de musique contemporaine (Alain Bonardi)
  • Jeudi 15 avril à 20H30 à La Péniche opéra: carte blanche à Julien Gauthier par le Cabaret Contemporain
  • Vendredi 16 avril à midi et demie: concert donné au musée Carnavalet par des musiciens de l'Opéra, au profit de l'association Enfance et Partage. Un programme so british avec des quatuor, quinette et sextuor de Britten, Vaughan-Williams et Bridge.
  • Samedi 17 avril à 20h30 à la Cerise (46 rue Montorgueil Paris 2e), un récital chant et piano de Chiara Skerath et Mary Olivon: Schumann, Ravel, Fauré (entrée libre).

jeudi 4 mars 2010

Les meilleurs concerts de mars 2010 à Paris

Comme toujours, la vie musicale de la capitale est surabondante, et les occasions d'écouter de belles choses ne manqueront pas, et ce blog n'a pas vocation à concurrencer les sites comme ConcertClassic. Voici tout de même quelques concerts sortant de l'ordinaire que j'ai notées sur mon agenda pour mars 2010:

  • l'Opéra de Paris proposera en mars 2010 pas moins de deux spectacles sur la musique de compositeurs vivants (ce qui est devenu suffisamment rare pour qu'on le signale): une reprise de l'opéra Faust de Philippe Fénelon, ainsi qu'un ballet (Siddharta) sur une musique de Bruno Mantovani.
  • le samedi 20 mars à 20 heures au Regard du Cygne (210 rue de Belleville), le baryton L'Oiseleur des Longchamps, accompagné par Mary Olivon au piano, donnera les Chants de l'Âme d'Olivier Greif. J'ai déjà parlé des Chants de l'Âme à propos d'un disque Triton: c'est un des chefs-d'oeuvre de ce compositeur, et l'occasion de l'entendre par un chanteur qu'il connaissait et appréciait beaucoup, à qui il a dédié sa symphonie n°1 pour voix et orchestre, est à ne manquer sous aucun prétexte.
  • le 27 et 28 mars, à Paris et Le Pecq, l'ensemble de cuivre KABrass s'associe au Bristol Brass Consort pour un nouveau programme haut en couleurs sous la baguette du chef et trompettiste Alejandro Sandler.
A noter aussi, les concerts de mes deux orchestres amateurs favoris, les 13 et 14 mars pour l'Orchestre Moderne dans un programme Ginastera / Holst / Kazghaliev, les 17 et 21 mars pour Ut Cinquième dans un programme Dvorak / Sibelius.

mardi 16 février 2010

Concert Trouvères mardi 23 février 2010 à l'ENS

Les trouvères de l'ENS vous invitent au concert  mardi 23 février 2010 à 20h30 à l'ENS (45 rue d'Ulm Paris) en Salle des Actes. Au programme notamment:

  • le sixième concerto brandebourgeois de J-S-Bach (avec contrebasse et clavecin, s'il vous plaît)
  • la création partielle de mon nouveau cycle de mélodies pour voix et piano intitulé Architectures contemporaines sur des textes de Jean Lequoy, qui sera chanté par Lucile de Trémiolles accompagné par Thomas Lavoine
  • et bien d'autres bonnes choses
Le concert est gratuit et selon la tradition, suivi d'un pot qui permet d'échanger avec les musiciens.

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