Papy fait de la résistance
Par Patrick Loiseleur le jeudi 10 juin 2010, 15:52 - Général - Lien permanent
Le titre de ce billet est mauvais, trouvez-vous ? Il n'est pas de moi mais de Renaud Machart: c'est la phrase qui conclut l'article (mais peut-on appeler ça un article) publié dans le Monde à propos du double concert-anniversaire les 27 et 28 mai derniers à l'occasion des 85 ans de Mr Boulez.
De musique, il n'est guère question dans ce papier qui n'y consacre pas plus de deux lignes, uniquement pour qualifier de conventionnellement ancrées dans une sinistre esthétique d'avant-garde
"fin de siècle" la musique de Jean-Baptiste Robin et Helen Grimes. Ceux qui voudraient se faire une idée du concert seraient bien mieux inspirés de lire les blogs comme celui de Palpatine (partie 1 et partie 2) plutôt que les compte-rendus de la presse officielle. Palpatine n'hésite pas à écrire qu'il n'aime pas telle ou telle pièce (il écrit par exemple: imaginez qu'une armée de nain mette le zouc dans votre cuisine, et tape
sur les casseroles
à propos Notation II - "Très vif-strident") mais il admet que l'on puisse penser différemment, et livre ses impressions en toute indépendance et sans arrière-pensée. Ce qui constitue deux différences majeures par rapport à la critique officielle, et c'est bien pour cela que je ne lis quasiment plus que les blogs.
Non, l'essentiel à retenir de ces deux soirées-là n'était pas la musique, bien que Bartok, Varèse, Berg, Webern, Messiaen, Berio, Carter, Donatoni, Stockhausen, Kurtag soient mobilisés pour l'occasion. Excusez du peu ! L'essentiel c'est que Mr Boulez est passé de mode, et que les musicographes qui s'en défendaient bien jusqu'à présent se sentent désormais autorisés à en dire du mal.
Les critiques musicaux sont encore plus moutonniers que les analyses financiers ou les agences de notation: lorsque ces derniers vous disent "achetez", le titre a déjà tellement monté qu'il est devenu trop cher; et lorsque les critiques musicaux vous disent "le contemporain radical et avant-gardiste est passé de mode", cela fait déjà 30 ans que les compositeurs ont massivement effectué le virage. Et ceux qui ne l'ont pas effectué peuvent être taxés d'un certain "conservatisme contemporain", oxymore savoureuse s'il en est.
Du reste qu'est-ce que la modernité ? Si être moderne c'est être de son temps alors les musiciens des années 1950, après la grande destruction des guerres mondiales et dans une période d'essor économique et démographique sans précédent, avaient toutes les raisons d'écrire une musique audacieuse qui se projetait vaillamment vers un futur forcément meilleur. Et ceux des années 2000, où les crises succèdent au crises, qu'elles soient environnementales, morales ou économique, où la morosité domine, ont toutes les raisons d'écrire un musique régressive, qui se retourne vers le passé et se caractérise surtout par ce qu'elle n'ose pas.
Restons-en là pour l'instant avec cette éternelle querelle des anciens et des modernes, qui fait couler beaucoup d'encre mais ne dit rien sur la musique elle-même. L'histoire montre que la musique bien écrite, quelle que soient le positionnement esthétique de son créateur, s'impose d'elle-même dans le répertoire.
Il est fort peu probable que Pierre Boulez ou ses proches lisent le blog d'un musicien débutant et insignifiant comme moi. Néanmoins si cela arrivait j'en profiterais d'abord pour lui transmettre tous mes vœux de bonheur et de santé à l'occasion de son 85e anniversaire, et pour le remercier sincèrement et chaleureusement de tous les efforts pour défendre encore et toujours la musique d'aujourd'hui, la sienne comme celle des autres, en refusant tout compromis. Le terme de résistant
employé de façon ironique et péjorative par le critique du Monde n'est peut-être pas si mal choisi.