EMI, puis Apple, enfin Warner Universal et Sony: les principaux acteurs de la musique en ligne semblent avoir officiellement renoncé aux DRM , ces fameux verrous anti-copie dont la principale utilité était de pourrir la vie de leurs clients en introduisant des contraintes arbitraires et stupides sur le type d'appareil à utiliser pour écouter la musique, le nombre de copies possibles, et ainsi de suite.
On peut s'étonner qu'ils aient attendu si longtemps et laissé se développer le piratage dans de telles proportions avant de se rendre à la raison. Et surtout qu'ils aient dépensé des ressources aussi considérables au flicage par tous les moyens (technologiques, juridiques, politique) plutôt que d'essayer d'améliorer l'offre. Le journal de Papageno va mettre à jour son comparatif en incluant les sites qui ont abandonné les DRM, mais celle-ci reste globalement insuffisante. Bien que les catalogues proposés soient abondants en nombre de titres, les moteurs de recherche sont indigents, les albums sont souvent mal indexés, leur description (compositeurs, oeuvres, interprètes, date et lieu d'enregistrement) est incomplète, les jaquettes et textes complémentaires manquent, et la qualité musicale n'est pas toujours au rendez-vous car peu de sites proposent le format FLAC qui est d'une qualité équivalente au CD audio et quasiment aucun ne propose la haute définition.
Reste une inconnue: les internautes (surtout les moins de 30 ans) vont-il préférer la tarification à l'unité (par album) qui perd de son sens avec la disparition de l'objet disque, ou les solutions forfaitaire de type streaming qui permettent d'écouter tout ce qu'on veut dans le catalogue, moyennant un abonnement ? Personnellement e ne suis pas favorable à la licence globale que certain appellent de leur voeux, pas en tout cas sur le modèle de cette infâme taxe pour la copie privée qu'on paye sur les CD vierges et dont le produit est distribué dans le meilleur des cas au doigt mouillé, dans le pire des cas sur le mode des petits arrangements entre amis. Il est impossible de savoir de façon fiable ce qui est téléchargé sur les réseaux pirates
, et donc de rémunérer les artistes et les producteurs de façon équitable sur cette base. Si licence globale il y a, elle ne pourra exister que sur un site de musique en ligne donné (ou à la limite une fédération de sites). Ce site pourra compter les téléchargements de manière précise. Au fond, la question d'un paiement par album ou par forfait est purement commerciale, une question de contrats entre distributeurs et producteurs d'un côté, distributeurs et consommateurs de l'autre. Et l'on ne peut que souhaiter que les députés ne se chargent pas de créer une structure nationale qui n'aurait aucun sens vu la dimension mondiale de l'Internet, et qui ne pourrait collecter et distribuer l'argent que de manière opaque et inéquitable, et donc préjudiciable aux artistes et à l'industrie de la musique.
Une autre question se pose avec l'arrivée progressive dans le domaine public de quantités énormes de musique enregistrée dans les années 1950 (et bientôt 1960). Les maisons de disques peuvent continuer à vendre cette musique en faisant comme si de rien n'était, mais on peut en fait la copier sans leur verser un centime car le délai légal de 50 ans est expiré. Du moins tant que le lobbying à Bruxelles pour étendre la protection à 95 ans n'aura pas abouti.
Avec la fin des DRM, la croissance à deux chiffre des ventes de musique en ligne, le développement de l'offre, l'arrivée sans doute prochaine de la riposte graduée
en France comme dans d'autres pays européens, le marché de la musique en ligne, après une adolescence difficile, entre dans une certaine maturité. Les majors qui n'ont pas compris il y a 10 ans ce que signifiait l'arrivée d'Internet vont-elles renaître de leurs cendres ou disparaître tel des Mammouths laineux inadaptés au changement climatique ? Nous le saurons dans quelques années.
Tout cela ne concerne que marginalement la musique classique d'ailleurs, marché de niche, fait par des passionnés pour des passionnés, où les meilleurs produits ne sont pas à chercher dans le "top 10" des ventes, mais parmi les disques qu'on garde précieusement, qu'on aime à écouter et ré-écouter, qu'on fait découvrir à ses amis. Produire de tels disques n'est souvent pas très rentable.