Certains ont écrit un livre pendant la pandémie de Covid-19: j'ai écrit mon premier opéra, Papageno et Tindarella. (Pour l'anecdote, j'ai aussi écrit un livre sur la prévention des violences sexuelles publié par Hatier, mais c'est une autre histoire !)
Avec mon complice de toujours, le baryton L'Oiseleur des Longchamps, avec le soutien de l'association ArtemOise, le soutien de nos généreuses donatrices, et avec une douzaine d'artistes qui sont aussi mes amis, nous avons récemment tourné en vidéo de larges extraits de cet opéra (6 des 20 numéros). Les vidéos sont en cours de montage, mais vous pouvez d'ores et déjà, chères lectrices, regarder les premières images dans cette bande-annonce:
Nous espérons pouvoir porter ce spectacle sur scène dès l'été 2024, des discussions sont en cours avec plusieurs festivals.
En complément je vous propose le texte que j'ai rédigé pour le programme:
Quel bonheur de quitter la survie pour revenir à la vie en ce printemps où l'épidémie semble prête à reculer pour de bon, grâce aux vaccins notamment ! Il fallait reprendre le quatuor et l'orchestre pour réaliser combien ces activités m'ont manqué. Et il fallait que l'opéra de Paris rouvre ses portes, ce samedi 5 juin, pour comprendre à quel point le concert vivant nous avait manqué, profondément. Et quoi de mieux qu'une création (Le Soulier de Satin, musique de Marc-André Dalbavie d'après un livret de Paul Claudel) pour réveiller cette maison pluri-centenaire dont le seul péché est son culte parfois excessif de la tradition ?
Tout sonne juste dans cette production de Lady MacBeth de Mzensk à l'Opéra de Paris: l'adéquation complète entre la musique, le chant, la mise en scène rend vraiment justice à ce noir chef-d'oeuvre qui faillit emmener le jeune et brillant Dmitri Chostakovitch au goulag.
Alors que certaines voix s’élevaient pour dénoncer une short-list exclusivement masculine pour remplacer Stéphane Lissner à la tête de l’opéra national de Paris, le Ministère de la Culture a surpris tout le monde en annonçant la nomination de Marlène Schiappa à la tête de cette prestigieuse maison. Elle deviendra ainsi la toute première directrice depuis 1669.
La compagnie de L'Oiseleur et l'institut culturel roumain vous invitent à re-découvrir "Claudine", une opérette de Rodolphe Berger écrite en 1910 sur un texte de Colette et Willy. Cela se passe les 4 et 5 octobre prochains à l'Institut Culturel Roumain, au 123 rue Saint Dominique à Paris. Cette opérette est tirée du célèbre "Claudine à l'école", un roman de Colette qui fit scandale à sa parution 1900, dont l'héroïne est une adolescente malicieuse, pleine d'humour et de vitalité. L'établissement où elle prépare le brevet des collège devient une sorte de théâtre dont elle est spectatrice autant qu'actrice.
Je cherche non seulement à rendre mes personnages plus vivants, à les faire mieux parler et plus clairement, tout en les maintenant dans cette vérité spéciale de la vérité artistique, qui n'a aucun rapport avec la vérité naturaliste (Ernest Chausson, lettre à Paul Poujaud, juin 1889)
L'histoire du Roi Arthus d'Ernest Chausson est emblématique des difficultés que peut rencontrer un compositeur, si doué et travailleur soit-il, pour trouver la reconnaissance qu'il mérite. Après avoir consacré dix ans de sa vie à écrire son unique opéra, et puis quatre ans à essayer de le fourguer sans succès à tous les chefs d'orchestre et tous les directeurs d'opéra d'Europe, Chausson est mort en 1899 sans avoir pu assister à la création du Roi Arthus. Notons au passage que son éditeur, Choudens, loin de l'aider, lui a mis des bâtons dans les roues en s'opposant à la création à Madrid ou à Prague sans réussir pour autant à obtenir une création parisienne. Après le décès de Chausson c'est Vincent d'Indy qui réussit à persuader les nouveaux directeurs de la monnaie de Bruxelles de créer Le Roi Arthus, en 1903. Et ce n'est que cent vingt ans après sa complétion qu'il entre enfin au répertoire de l'Opéra de Paris !
Sous la direction de Romain Dumas, l'orchestre Ut Cinquième et le choeur russe de Paris vous invitent à écouter Cavalleria Rusticana de Pietro Mascagni en version de concert les 11 et 13 juin prochains à Paris Avec dans les rôles solistes: Marie Saadi (Santuzza), Daniel Galvez-Vallejo (Turridu), Marc Souchet (Alfio), Marine Chagnon (Lola) et Gabrielle Savelli (Lucia).
Plus de cent ans après sa création à Bruxelles, l'unique opéra d'Ernest Chausson fait enfin son entrée à l'opéra de Paris. Il était temps ! Les Parisiens pourront enfin découvrir ce Tristan à la française, qui narre les amours contrariées (et adultérines) de Lancelot et Guenièvre. Je vous en dirai plus dans un prochain billet, car j'aurais le plaisir d'assister à cet évènement. En attendant je vous invite à écouter cette interview de Roberto Alagna sur le site de l'Opéra de Paris qui nous dit que l'orchestre est un personnage à part entière, et que la voix n'est qu'une des composantes d'une riche texture.
Bien qu'il s'en défende, l'écriture de Chausson reste assez proche de Wagner, au moins sur le plan technique. La polyphonie (chaque voix se veut une ligne mélodique), le chromatisme avec des modulations incroyables et des changements de couleur magnifiques, le romantisme exacerbé, le développement d'un petit nombre de motifs simples, tout cela est assez wagnérien. Mais la musique de Chausson possède aussi par instants une grâce, une élégance, une légèreté fort peu germaniques, et elle semble annoncer l'impressionnisme.
Avec un peu de retard, je publie un compte-rendu de la première de Faust à l'opéra Bastille le 2 mars dernier. Ayant eu le plaisir de participer à une production de cet opéra en 2002 (dans la fosse d'orchestre, à l'alto) c'est une partition que je connais assez bien et que je retrouvais avec grand plaisir (et avec l'ami Nicolas qui a l'époque tenait la position de violon solo à l'orchestre Ut Cinquième).
L'opéra est un genre musical mort et enterré. On l'a dit et redit dans les colonnes de ce journal. Né au tournant des années 1600 en Italie, ayant atteint la maturité à l'époque de Mozart, une véritable explosion au XIXe siècle où chaque nation voulut des opéras dans sa langue, déjà décadent avec Wagner et Verdi, il agonisa joliment durant le vingtième siècle, produisant ses derniers feux avec Strauss ou Schoenberg. En de début de XXIe siècle, il coule moins de sang vif dans ses veines que dans celles du malheureux Vincent Lambert.
A l'affiche au théâtre des Variétés jusqu'au 12 juillet prochain, une version de poche fort sympathique et enjouée de la Flûte enchantée. L'orchestre est réduit à quatre musiciens (violon, alto, hautbois, basson) qui jouent sur scène, de mémoire, et dont les mouvments sont intégrés à la mise en scène. Il s'agit donc de théâtre musical (comme l'histoire du soldat de Stravinsky) plutôt que d'opéra. Les coupures sont nombreuses, les dialogues parlés ont été réécrits en français plus que traduits, mais l'essentiel du chef-d'oeuvre de Mozart est préservé.
Ouï dimanche dernier à l'Opéra de Paris, une fort belle production d'Elektra de Richard Strauss. Créé en 1909, cet opéra pousse le chromatisme (post-)wagnérien dans ces derniers retranchements. Un certain Arnold Schönberg ne manqua pas d'en tirer des leçons lorsque; quelques années plus tard, avec Erwartung puis le Pierrot Lunaire, il enterrera la tonalité que Strauss avait poignardé aussi énergiquement qu'Oreste s'occupe de son beau-papa. On ne peut pas aller plus loin qu'Elektra; Strauss lui-même l'a compris, car il s'est tourné vers un tout autre style pour ses opéras suivants, comme le Chevalier à la Rose ou encore Cappricio.
Elektra est l'histoire d'une vengeance, et ça n'est même que ça. Obsédée par le meutre de son père Agamemnon, qui a été assasiné par son épouse Clytemnestre et par l'amant de celle-ci Egisthe, Elektra ne rêve que de laver l'affront dans le sang de sa propre mère. Elle reste sourde aux appels de Chrisotemis, sa soeur, qui aimerait bien "tourner la page" et "refaire sa vie" comme on dit de nos jours. Elle attend le retour de son frère Oreste pour l'aider à exécuter son plan. Plan aussi simple que subtil et dans lequel une rencontre entre certaine hache et la tête de Maman tient une place centrale.
Ce soir à vingt heures aura lieu la rediffusion sur Arte Live Web de l'opéra de Thierry Escaich, Claude, sur un livret de Robert Badinter d'après un roman de Victor Hugo (Claude Gueux). Les créations d'opéra sont devenues suffisamment rares pour qu'on salue celle-ci et qu'on lui réserve le meilleur accueil. Thierry Escaich est un magnifique musicien à découvrir absolument si vous ne le connaissez déjà. Certains jugeront sa musique trop moderne et d'autres pas assez, pour ma part je retiens surtout que tout ce que j'ai pu entendre de Thierry Escaich était fort bien écrit, bien construit et sonnait très bien. Quand la musique est de bonne qualité elle s'impose par elle-même, indépendamment des choix esthétiques de son créateur.
Par ailleurs Badinter n'est pas n'importe qui, c'est tout de même l'homme qui a fait voter l'abolition de la peine de mort en France en 1981, à rebours d'une opinion publique qui y était encore majoritairement hostile. Je recommande en particulier aux plus jeunes lecteurs de ce Journal de lire L'Abolition du même Badinter, un livre de deux cent pages tout à fait essentiel pour comprendre les enjeux de l'abolition et le chemin qu'elle a suivi avant de s'imposer en France comme dans tous les pays européens. Un livre à mettre entre toutes les mains dès quatorze ans.
Les créations d'opéra sont devenues suffisamment rares pour qu'on les signale et qu'on prenne le train ou la voiture afin d'aller les écouter à Aix, Strasbourg, ou Bruxelles. Celle dont je vous fais la pub aujourd'hui est un opéra de Michel Fourgon qui s'intitule Lolo Ferrari. Il sera donné à l'Opéra de Rouen les 8, 10, et 12 mars prochains.
Même ceux qui n'ont jamais vu un porno de leur vie (et ils en ont de la chance) connaissent sans doute le nom de Lolo Ferrari, actice qui s'était rendue célèbre par un tout de poitrine tout à fait monstrueux obtenu par une succession d'opérations de chirurgie esthétique (si l'on peut encore appeler ça esthétique). Son mari qui était aussi en quelque sorte son "impresario" ou son "agent", a été soupçonné lors de son décès dans des circonstances troubles en 2000, et puis finalement relâché.
Le destin tragique de cette femme fournit sans aucun doute un excellent sujet d'opéra. Même sans céder au malin plaisir d'un calembourg, on peut dire que cette Lolo est une sorte de Lulu de notre époque. En plus des ingrédients essentiels de tout bon sujet d'opéra (du sexe, du sang, plus un brin de politique ou de philosophie) cela permet d'aborder des sujets très actuels comme l'image de soi, l'argent, la célébrité, et la recherche du bonheur.
N'ayant pas lu le livret ni entendu une note de musique, je ne saurais vous en dire plus, sinon ceci: soyez curieux et audacieux, et si vous êtes parisien dites-vous que Rouen ça n'est pas plus loin du centre de la capitable que Cergy-Pontoise ou Marne-la-Vallée.
Écouté dans la bonne ville de Liège la semaine dernière, Le Hollandais Volant, quatrième opéra de Richard Wagner, écrit en 1843, et sans doute la première oeuvre où sa personnalité et son style s'affirmèrent nettement, et où les fameux leitmotive, ces thèmes musicaux associés à un personnage ou une idée, furent utilisées systématiquement. Par rapport à Parsifal ou aux Maîtres Chanteurs, cet opéra possède en outre l'avantage de durer à peine plus de deux heures et d'y aller mollo sur le nationalisme allemand, ce qui en fait le candidat idéal pour l'initiation à Wagner.
Le Théâtre Royal de Liège étant en travaux, c'est sous un chapiteau que la représentation se déroule. On entend un peu les mâts du chapiteau grincer quand le vent les secoue, ce qui ma foi est tout à fait dans le thème de l'opéra (les sirènes de police qui traversent de temps à autre étant nettement moins dans le thème marin de cet opéra romantique). Première remarque, les étudiants à Liège ont droit à des places d'opéra à 7€ s'ils prennent un abonnement. Et ce ne sont pas des places de dernière catégorie mais de très bonnes places ! Par comparaison les rarissimes places à 10€ de l'Opéra Bastille font davantage figure d'alibi que d'effort véritable et sincère pour mettre la culture à porté des jeunes et des classes moyennes.
Le principal inconvénient du chapiteau n'est pas tellement dans les bruits extérieurs qui sont en fait assez peu gênants mais dans l'acoustique plutôt sèche qui laisse bien passer les voix et les instruments mais ne leur pardonne pas grand-chose et ne les enveloppe que d'une très mince réverbération. Cela étant dit j'aime écouter de façon très analytique, et le cours d'orchestration dispensé par un Wagner dont on sent bien que le sang lui bouillait dans les veines vaut le déplacement. L'orchestre ne démérite pas: j'aurais aimé de la part de Paolo Arrivabenides tempi un peu plus enlevés notamment dans le prélude et tous les retours du thème du Hollandais; j'aurais aimé être emporté davantage par ces vagues irrésistibles, mais en dehors de cela les couleurs sont belles et l'orchestre soutient bien les chanteurs sans les couvrir. Côté plateau, c'est un peu inégal. Je ne vais pas jouer au critique musical et distribuer les bons et les mauvais points, disons seulement que je n'étais pas séduit de bout en bout.
L'ensemble tiendrait tout à fait la route sans les choeurs qui ne sont pas très juste ni en place: en les écoutant je ne peux m'empêcher de penser à la transcription fantaisiste réalisé pour quatuor à cordes par Paul Hindemith du Prélude du Hollandais Volant, transcription dans laquelle le facétieux compositeur expressionniste a introduit décalages et fausses notes sensées reproduire l'effet d'une lecture à vue par un orchestre de station thermale à 7 heures du matin... J'ai l'impression pour faire justice aux choristes que le père Wagner ne les avait pas gâtés avec ces chants de marins plutôt casse-gueule, rapides, très tendus dans l'aigu, en concurrence avec un gros orchestre...
La mise en scène de Petrika Ionesco est assez classique (j'entends pas là qu'elle essaie de raconter la même histoire que le livret, sans chercher à la transposer dans un bar à putes de Berlin-Est dans les années 1960 ou autre genre de relecture post-moderne) et fonctionne très bien. Elle comporte beaucoup d'éléments visuels assez séduisants et évocateurs. En revanche les quelques séquences vidéos (qui représentent une mer houleuse) n'apportent pas grand-chose de plus. De même l'utilité des scènes mimées durant le prélude et le postlude orchestral est contestable: est-ce que la musique ne suffit pas à elle-même pour nous plonger dans l'ambiance durant les 5 minutes de la célèbre ouverture ?
C'est tout de même assez gênant de vouloir à tout prix illustrer chaque seconde de musique par un mouvement scénique, comme si on était au cinéma et non au théâtre musical. Je trouve même ces scènes contre-productives car elles apportent une vision des choses qui peut être limitative: ainsi le tableau final est celui du père de Senta pleurant sa fille dans un cimetière: c'est très touchant, mais la musique raconte tout autre chose: Wagner reprend le thème du Hollandais volant pour la première fois en ré majeur: c'est donc la rédemption et une sorte de triomphe de l'amour dans la mort, au-delà de la mort dont il s'agit. Mais comment l'exprimer avec des images ? Parfois le mieux est de laisser la musique parler et l'esprit du spectateur, repu d'images et de musique, vagabonder plus librement. En résumé cette belle mise en scène pèche un peu par excès.
A lire sur ResMusica, un article de Maxime Kaprielian: Faire du vieux avec du vieux, qui brosse un tableau assez sombre mais fort juste hélas de la programmation 2011-2012 de l'Opéra de Paris. A part une création de Philippe Fénelon, on n'entendra que des compositeurs morts, cela va de soi (et la plupart morts depuis 100 ans au moins); mais on aura également droit aux metteurs en scène morts. La prochaine étape de cette fossilisation déjà bien avancée de l'opéra, c'est bien sûr les chanteurs morts. Ne suggérons surtout pas à Nicolas Joël de mettre sur scène un androïde doté de la voix enregistrée de la Callas, il serait capable de prendre cela au sérieux.
On en viendrais presque à regretter Gérard Mortier qui multipliait les provocations pour ensuite paraître s'étonner que parfois, le public réagisse aux dites provocations. Au moins il a programmé des compositeurs vivants comme Boesmans, Mantovani, ou Saariaho.
Il fut un temps où l'Opéra était un genre vivant, où chaque saison amenait des dizaines de nouvelles productions présentées par une demi-douzaines de scènes, parmi lesquelles le public parisien choisissait le ou les succès de l'année. Même si la plupart des opéras et ballets écrit par Adam, Meyerbeer, Cherubini, Auber, Massenet et les autres n'ont pas survécu. Ce temps semble bien révolu désormais, et la créativité qui s'exprimait à travers l'opéra a choisi d'autres vecteurs d'expression: cinéma, jeux vidéo, concerts rock, comédie musicale...
Mais la bonne nouvelle tout de même pour les Parisiens du début du XXIe siècle ce sont tous les trains à grande vitesse et les avions low cost qui sillonnent l'Europe et rendent tellement facile un petit saut à Bruxelles, Londres, Amsterdam ou Zurich pour aller voir un spectacle ou une exposition... au lieu d'un abonnement à l'Opéra, offrez-vous une carte grand voyageur !
La Flûte enchantée de Mozart a toujours été, est encore et
restera certainement mon opéra préféré. Du reste les lecteurs de
ce blog peuvent s'en douter un peu en lisant son titre. Pourquoi un
tel amour ? Je pourrai argumenter longuement, expliquer pourquoi
c'est la fusion parfaite entre théâtre et musique, entre musique
savante et spectacle populaire, entre drame et comédie. Il n'y a pas
un seul aria de La Flûte qui ne soit pas un petit bijou: duos,
trios, quatuors et quintettes sont réalisés avec une facilité, une
souplesse dans la polyphonie qui forcent l'admiration. Du reste, l'ouverture orchestrale et la
plupart des airs de la Flûte sont devenus des tubes, des visages
familiers de la mémoire musicale collective. On pardonne aisément à
la Flûte enchantée les défauts de son livret un peu décousu et ouvertement moralisateur, de cette histoire d'initiation maçonnique à
laquelle je n'ai jamais compris grand-chose et qui pour parler
franchement m'a toujours un peu gonflé (ça doit être mon côté
Papageno).
Je pourrais argumenter longuement sur
mon amour de la Flûte, mais je ne le ferai pas davantage, et je me
contenterai de vous inviter à ré-écouter la scène qui donne la
clé de tout l'opéra et peut-être de la vie de Mozart lui-même:
celle … de la flûte enchantée (Wie stark ist nicht dein Zauberton). Je veux dire la scène la Flûte
ou la flûte magique est utilisée par Tamino pour se protéger des
bêtes sauvages, qui cessent leur grognements menaçants et se
mettent à danser.
(cet air est chanté ici par Francisco Araiza, dirigé par Wolfgang Sawallisch, extrait d'un DVD disponible chez Deutsche Gramophon)
Comment ne pas voir dans cette scène
un auto-portrait du jeune Mozart, armé de ses seuls talents de
musicien pour faire face à un monde brutal et injuste dans lequel il
n'a jamais vraiment eu sa place ?
C'était donc un bonheur renouvelé
pour moi d'assister à une nouvelle production de la Flûte, à
l'opéra de Massy, bonheur qui se doublait de celui de le faire
découvrir à mes enfants devenus assez grand et pour qui c'était la
première représentation d'opéra.
Cette co-production de l'opéra de Massy et du Festival de Saint-Céré était placée
sous le signe de la jeunesse et de la simplicité. Jeunesse des
chanteurs de la troupe Opéra éclaté dont aucun n'a atteint les trente ans; de
l'orchestre de Massy qui vient de fêter ses vingt ans; également du
public où l'on aperçoit, en plus des habituelles têtes grises,
d'autres parents qui ont eu comme moi l'idée saugrenue d'emmener avec eux des
enfants et même des adolescents. Simplicité de la mise en scène,
de l'ambiance bon enfant, de l'accueil dans ce théâtre modeste et
chaleureux. Fort heureusement, cette salle n'a pas l'ambiance froide
et prétentieuse, façon secte pour gens riches et cultivés, qu'on
reproche parfois à l'opéra et qui est particulièrement sensible à
l'Opéra de Paris, pour ne pas le nommer. Soit dit en passant, le
prix modéré des places a aussi de quoi soulager les pères des
familles.
Même si elle était réalisée avec de
tout petits moyens (on pouvait s'en rendre compte avec les épreuves
du feu et de l'eau ou la représentation du serpent), la mise en
scène d'Eric Perez ne manquait pas de charme ni d'efficacité: une estrade
qui pose une sorte de scène sur la scène, des éléments modulables
qui figurent tantôt des portes, tantôt des murs, des lits ou des
barreaux. Évitant le double piège d'en faire trop ou pas assez,
elle laisse suffisamment d'espace aux acteurs-chanteurs pour
s'exprimer et au public pour rêver. Les costumes de J-M. Angays et S. Laverne m'ont plu
par leurs couleurs vives (un peu trop vives au goût de mon aimée) et
leur contribution à la narration: ainsi Tamino et Pamina, dont les
habits blancs se parent de couleurs alors qu'ils avancent dans leur
initiation. Ou encore la robe de la reine de la nuit d'un noir
violacé inquiétant, largement ouverte pour laisser apparaître un
pantalon sur le devant. Est-ce une robe ou un pantalon ? Toute la
duplicité du personnage apparaît dans son costume.
Quant aux chanteurs, le journal de
Papageno n'est pas le lieu pour jouer aux critiques musicaux et
distribuer les bons et les mauvais points. Je donnerai cependant une
mention toute spéciale à la Pamina de Marion Tassou qui m'a fait
pleurer dans l'aria Ach, ich fühl's, es ist verschunden. Et j'ai gardé une bonne impression du plateau dans son ensemble, avec des rôles féminins globalement plus séduisants et convaincants que leurs homologues masculins. Les scènes parlées de
ce Singspiel (car c'est du théâtre chanté et non un opera
seria) le sont en français, dans une traduction légèrement
modernisée qui par conséquent parle directement au public.
Soulignons que la taille modeste de l'opéra de Massy (800 places)
ainsi que celles de l'orchestre (9 violons, 4 altos, 3 violoncelles,
soit la moitié de ce qu'on emploie généralement pour les opéras
ou les symphonies romantiques) convient particulièrement bien aux
chanteurs, autant pour l'équilibre acoustique que pour un bon
contact avec le public.
En résumé, cette production m'a plu
par l'enthousiasme et la cohésion de cette troupe qui ont fait de
cet opéra initiatique une très bonne initiation à l'opéra pour
les enfants. J'ai pu entendre à Salzbourg il y a quelques années
une autre Flûte avec un orchestre somptueux et des chanteurs de tout
premier plan, qui m'a causé un grand plaisir esthétique mais pas
laissé la même impression de bonheur simple et partagé.
La vidéo de l'opéra de chambre Hypermusic Prologue d'Hèctor Barra est déjà en ligne. J'aime bien la musique: elle use et abus des gratouillis bruitistes, sons électroniques et autre col legno mais le résultat est tout à fait convaincant et même réjouissant à entendre, surtout dans l'impeccable réalisation de l'Inter-contemporain.
Comme on pouvait s'y attendre, le livret hyper-intello signé Lisa Randall (brillante chercheuse en physique quantique par ailleurs) manque un peu de force dramatique, de ce qui fait le miel de tout bonne pièce théâtrale: du sexe, du sang, des traîtres bien vils et des héros bien gentils. Deux chanteurs, Charlotte Ellett et James Bobby devisent gravement de problèmes métaphysiques. Ils chantent avec partition ce qui peut se comprendre car ce genre de musique ne se mémorise pas comme un air de Puccini, mais du coup on a l'impression de voir l'oeuvre en version de concert, bien qu'il y ait une mise en scène. Par moments, la conversation s'anime un peu, lorsque le baryton s'écrie
This cannot exist !
Il ne parle pas de l'hyper-musique contemporaine, bien sûr, mais de l'existence du fameux boson W, sujet qui a depuis toujours suscité des conversations passionnées autour de la machine à café (la machine à café fréquentée par les thésards en physique théorique de l'université de Harvard, cela va de soi)
Vu au théatre du Châtelet, la nouvelle production de Pastorale de Gérard Pesson dont le Journal de Papageno avait annoncé l'arrivée imminente sur nos écrans. Les créations d'Opéra sont si rares et présentent de telles difficultés matérielles et artistiques qu'il faut commencer par saluer chaleureusement le travail des deux cents artistes qui on contribué à cette production, avant même de détailler mes impressions. En guise de prologue, bravo à tous !
L'histoire: Astrée et Célandon jouent à je t'aime - moi non plus au milieu d'une troupe de jeunes gens qui évoquent furieusement les candidats de l'Île de la tentation ou du Loft.
Le décor: faux moutons, faux oiseaux, fausses plantes vertes. L'impression de fausseté fait partie du projet car il s'agit de montrer la désillusion permanente des jeunes amoureux. Des maquettes filmées et projetées sur plusieurs écrans. Un acolyte asperge une fougère avec un pschitt-pchitt et hop ! il pleut. Très efficace, pas toujours de très bon goût, parfois un peu surchargé.
La musique: S'il fallait la résumer d'un mot, ce serait sans doute légereté. L'orchestre est utilisé comme un réservoir d'instruments solistes (dont guitare, clavecin, harpe, cornemuse, flûte à bec pour le côté champêtre, et une abondante percussion). Une écriture très concise où le timbre joue un rôle essentiel. On ne s'étale pas, on ne s'appesantit pas, on ne cherche pas d'effet de masse. Les phrases confiées aux instruments solistes font rarement plus d'une note (ce qui indisposait un peu ma voisine, mais pas moi). Le tout sonne très bien, très contemporain sans la moindre trace d'agressivité. Quelques citations comme l'adagietto de la 5e de Malher qui passent furtivement. Les nuances (celles qu'on perçoit dans la salle au moins) explorent surtout l'espace qui sépare le piano du pianissimo, et le pianissimo du silence. Voilà une musique qui sait nous charmer furtivement mais pas nous emporter, nous faire peur ou nous arracher des larmes. Du reste elle n'essaye même pas.
L'écriture vocale: Les lignes vocales sont souples et agréables à l'oreille (ça n'est pas si fréquent dans l'opéra contemporain), les choeurs sont un peu moins convaincants, difficile de savoir à la première écoute si c'est à cause de l'écriture ou de l'interprétation.
Le livret: découpé en 42 scénettes dont on peine parfois à saisir l'enchaînement. Gérard Pesson a sous-traité le livret, par petits bouts, à Martin Kaltenecker pour les dialogues et à Philippe Beck pour les monologues. Le contraste entre la prose fluide de l'un et la poésie riche et lourde de sens de l'autre est assez frappant, mais il n'aide pas à donner un sentiment d'unité. Du reste, on n'a pas forcément besoin de beaucoup de mots pour faire une scène charmante, une seule syllabe peut suffire:
Les chanteurs: deux anciennes de la Star Ac' viennent pimenter la distribution et lui apporter un peu de fraîcheur (et moins de fausses notes qu'on aurait pu le craindre). Quelques beaux airs de Judith Gautier (Astrée, soprano) et Olivier Dumait (Céladon, ténor). Marc Labonette (Adamas) a un beau timbre mais c'est un rôle qu'on donnerait plutôt à une basse qu'à un baryton.
La danse: des danseurs se mêlent aux chanteurs (le chorégraphe n'est autre que Kamel Ouali, devenu célèbre grâce à la star ac). J'aime bien ce qu'ils font mais on a parfois l'impression que compositeur, vidéaste-metteur en scène et chorégraphe ont travaillé en parallèle plutôt qu'en équipe, chacun contribuant avec le meilleur de son talent, mais sans considérer le résultat final. Lorsque les bruits de pas et les cabrioles rapides des danseurs s'entendent plus que l'orchestre qui joue pianissimo et dans un tempo lent, une impression mélangée se dégage de ces messages contradictoires. Et parfois la danse, le chant, la vidéo, le texte envoient trop de messages simultanés pour qu'on puisse tout suivre avec un seul cerveau.
L'impression finale: les héros de l'opéra sont des jeunes gens qui tentent de réenchanter le réel sans grand succè, nous dit le livret. On a du plaisir et on sourit souvent en voyant cette Pastorale gentiment ironique, mais on ne connaît pas le grand frisson. La chute de Céladon est trop soudaine et rapide pour être dramatique, la colère d'Astrée ne nous fait pas réellement trembler. Tout cela est voulu, naturellement, c'est le jeu de cette Pastorale douce-amère où les décors ont l'air aussi faux que les sentiments. Mais cela peut expliquer l'enthousiame plutôt modéré du public, où beaucoup ont applaudi avec plus de politesse que de conviction.
A lire aussi: Maxime Kaprielian pour resmusica, Bladsurb qui adore, Zvezdo qui a plutôt aimé, Palpatine qui a courageusement pris la fuite à l'entracte.