Si tout le monde connaît le Franz Liszt qui inventa le récital pour piano, composa les Rhapsodies Hongroises et cassait les cordes des pianos, qui connaît l'enfant prodige qui parcourut l'Europe au même âge que Mozart ? Qui connaît l'ascète imprégné de spiritualité franciscaine qui voyageait en 3e classe, donnait tout son argent, n'a jamais réclamé un centime aux élèves de ses master-classes ? Qui connaît le kapellmeister de Weimar, inventeur du poème symphonique, défenseur de Berlioz et précurseur de Wagner ? Qui connaît, qui joue sa musique religieuse, ses oratorios Christus et Sainte Elisabeth ? Qui s'étonne encore du dépouillement atonal de ses dernières pièces pour piano ? Qui se souvient de ses concerts philanthropiques, son engagement politique pour l'indépendance de la Hongrie ou encore pour soutenir la révolte des Canuts de Lyon en 1831, dont il a repris le refrain ? Aujourd'hui plus que jamais Franz Liszt, génie de la musique dont la vie fut un roman, est à redécouvrir. Et il est tout aussi urgent d'envoyer une copie de son livre Des Bohémiens et de leur Musique en Hongrie à notre président de la république et à son ministre de l'intérieur, tous deux si prompts à l'exploitation politique de la misère chez les uns comme du racisme chez les autres.
Pour ouvrir donc cette année 2011, quoi de plus adapté que Les Préludes ? Commençons par relire l'argument ce de poème symphonique, qui reprend l'introduction des Méditations poétiques de Lamartine:
Écoutons ensuite ces variations symphoniques si colorées et contrastées, jouées avec tout l'enthousiasme possible par le Western Eastern Divan Orchestra dirigé par Daniel Barenboïm:Notre vie est-elle autre chose qu'une série de Préludes à ce chant inconnu dont la mort entonne la première et solennelle note ? L'amour forme l'aurore enchanté de toute existence; mais quelle est la destiné où les premières voluptés du bonheur ne sont point interrompues par quelque orage, dont le souffle mortel dissipe ses belles illusions, dont la foudre fatale consume son autel, et quelle est l'âme cruellement blessée qui, au sortir dune de ces tempêtes, ne cherche à reposer ses souvenirs dans le calme si doux de la vie des champs ? Cependant l'homme ne se résigne guère à goûter longtemps la bienfaisante tiédeur qui la d'abord charmé au sein de la nature, et lorsque la trompette a jeté le signal des alarmes, il court au poste périlleux quelle que soit la guerre qui l'appelle à ses rangs, afin de retrouver dans le combat la pleine conscience de lui-même et l'entière possession de ses forces.
Bonne année 2011 sous le patronage généreux et enflammé de Franz Liszt !
(photo: Liszt en 1858 par Franz Hanfstaengl)