Concert d'ouverture du Théâtre du Châtelet
Par Patrick Loiseleur le mercredi 11 septembre 2024, 00:30 - Concerts - Lien permanent
Ce 10 septembre, nous avons pu assister pour vous au concert d'ouverture du Théâtre du Châtelet qui faisait la part belle aux percussions et aux mélanges stylistiques.
On commence par une mélodie de Grieg tout en douceur mélancolique, la célèbre Chanson de Solveig, chantée avec grâce par Clarisse Dalles et Arnaut Tibere-Inglesse. Dommage que la délicatesse des pianissimi soit quelque peu gâchée par les retardataires qui prennent place !
Ensuite le nouveau directeur Olivier Py nous accueille avec des mots enthousiastes: il parle de joie, de création et d'ouverture. C'est vrai qu'il y a un peu de tout dans la saison à venir: du jazz, de la danse contemporaine, de la comédie musicale, de l'opérette... comprenez par là, chères lectrices, que le Châtelet ne cherche pas à concurrencer l'opéra de Paris mais au contraire à explorer toutes les formes de théâtre musical que cette prestigieuse mais conservatrice institution a délaissées.
Ensuite c'est le trio de percussions SR9 qui joue avec la chanteuse canadienne Kyrie Kristmanson que je découvre. Elle a quelque chose d'enfantin: sa présence sur scène, sa manière de bouger, pieds nus sur un tapis rond et blanc, son bonnet de fourrure blanche, sa voix un peu fluette et pourtant très séduisante. Le quatuor nous offre un plaisir un peu austère car les voix sont à nu quand elles ont aussi peu de soutien harmonique, sans piano ni instruments à cordes (je dis "sans piano" mais en fait, il y a un piano préparé, utilisé comme instrument de percussion et pas du tout comme du piano romantique). Le travail d'instrumentation est très finement réalisé, et le programme très original qui mêle des chansons d'aujourd'hui avec les chants de troubadours du 12 siècle avec un fil rouge: ce sont uniquement des compositrices de Hildegarde de Bingen à Germaine Tailleferre, d'où le titre Venus Rising donné à leur projet. Le tout est vraiment orignal et me plaît bien. C'est une musique plutôt intime qui paraît un peu perdue sur la grande scène du Châtelet, mais on passe un très bon moment.
Après un premier entracte, on retrouve deux artistes que j'adore, Thomas Enhco et Vassilena Serafimova. Nous avons pu les entendre cet été dans un patelin du Sud-Ouest dont j'ai oublié le nom, et c'était magique. Quel bonheur de les revoir et les ré-écouter au Châtelet ! Dès que les premières notes de Bach Mirror résonnent, je sens la joie m'envahir de façon irrésistible, j'en ai les larmes aux yeux. D'abord ce sont deux virtuoses en parfaite symbiose, ils respirent ensemble et sont d'une précision incroyable sans même se regarder dans les passages rapides. Ensuit les arrangements qui explorent toute la gamme des possibles entre la transcription fidèle et la composition qui intègre juste une citation d'un choral de Bach sont de petits bijoux d'intelligence et de sensibilité, un vrai régal qu'on ne se lasse pas de réécouter. Reflets, La réécriture du 1er Prélude du Clavier bien tempéré par exemple, avec des rythmes de 5, et un micro-contrepoint (un décalage d'une double croche seulement entre les deux instruments) c'est de la dentelle ! Et l'Avalanche en ut mineur est spectaculaire. Et la Chaconne me donne des frissons à chaque fois. Et le Vortex avec des instruments préparés qui sonnent un peu comme des synthétiseurss. Bref c'est du bonheur en barre et du miel pour les oreilles, ce duo.
Après un deuxième entracte, c'est un autre duo qu'on accueille, celui que Vassilena Serafimova a formé avec la DJ CHLOÉ. Cette dernière a devant elle tout un tas de boîtiers avec des potars et des fils partout qui lui servent à contrôler les sons électroniques, et aussi les sons live qui sont captés, rejoués en boucle et retravaillés. J'avour que cette troisième partie me plaît moins. Vassilena Serafimova est égale à elle-même, débordante d'énergie (elle ne joue pas elle danse, bien souvent pieds nus derrière son marimba). Mais les sons synthétiques ont un côté mécanique, répétitif que je trouve oppressant. Les niveaux des basses sont nettement trop fort à mon goût. Certains sont percussifs fatiguent vraiment les tympans et font vibrer les sièges du théâtre, ils me donnent à peu près autant de plaisir qu'une machine à distribuer des coups de pieds au cul. Pour être équitables, mentionnons qu'il n'y a pas que du gros son qui tache, CHLOÉ sait aussi travailler en finesse, mais globalement je reste assez insensible à ces boucles de sons synthétiques qui se répètent et se répètent et se répètent et n'expriment pas grand-chose. Il faut dire aussi qu'après Bach Mirror, la pauvreté de cette musique électronique côté contrepoint, harmonie et lignes mélodiques ressort assez cruellement. Je sais fort bien que ce n'est pas ce qui compte dans ce style musical, mais plutôt le travail sur le son. Les lumières aussi sont beaucoup plus agressives avec des néons rouges et des projecteurs qui'on reçoit en pleine figure par moments. C'est l'ambiance boîte de nuit chic si on veut. Thomas Encho rejoint les deux complices pour la fin de cette troisième partie, mais il y a des moments où on le voit jouer sans distinguer un seul son car les boum-boum de la partie électronique écrasent tout. Vous l'aurez compris mes chères lectrices, je n'ai pas été séduit par cette 3e partie. Certains spectateurs s'en vont, d'autres au contraire ont l'air très enthousiastes. Les goûts et les couleurs...
La toute denière partie au Foyer promettait une "première étape de recherche sur une création lyrique contemporaine en cours" mais je ne pourrai rien vous en dire car notre petit groupe a quitté le théâtre avant de pouvoir l'entendre. Le mystère restera donc entier...
Une soirée d'ouverture prometteuse, avec d'immenses contrastes entre la délicatesse de certaines pièces et la brualité de certains sons éléctroniques, dont les meilleurs moments resteront pour moi la deuxième partie avec le duo Enhco-Serafimova. À la rédaction du Journal de Papageno, on ne les aime pas, on les adore !