Papageno et Tindarella: histoire d'un opéra

Certains ont écrit un livre pendant la pandémie de Covid-19: j'ai écrit mon premier opéra, Papageno et Tindarella. (Pour l'anecdote, j'ai aussi écrit un livre sur la prévention des violences sexuelles publié par Hatier, mais c'est une autre histoire !)

Avec mon complice de toujours, le baryton L'Oiseleur des Longchamps, avec le soutien de l'association ArtemOise,  le soutien de nos généreuses donatrices, et avec une douzaine d'artistes qui sont aussi mes amis, nous avons récemment tourné en vidéo de larges extraits de cet opéra (6 des 20 numéros). Les vidéos sont en cours de montage, mais vous pouvez d'ores et déjà, chères lectrices, regarder les premières images dans cette bande-annonce:

 

Nous espérons pouvoir porter ce spectacle sur scène dès l'été 2024, des discussions sont en cours avec plusieurs festivals. 

En complément je vous propose le texte que j'ai rédigé pour le programme:

Histoire d’un opéra

Vous venez d’entendre l’histoire de Papageno et Tindarella, laissez-moi vous en conter une autre : celle de la fabrication de cet opéra de chambre. Le « making of » si vous préférez.

La toute première chanson de cet opéra fut écrite à l’intention de la femme qui a inspiré le personnage de Tindarella (laquelle emprunte bien évidemment des traits de caractère à plusieurs personnes réelles ou fictive, si bien qu’il serait parfaitement futile de chercher une quelconque fidélité ou un message caché). Cette chanson c’est : « Elle ne veut pas de moi ».

Un peu plus tard, envisageant sérieusement de m’engager avec cette personne, j’ai eu l’idée d’une petite cantate à deux voix (baryton et soprano) et trois instruments (alto, clarinette, piano, une combinaison très riche que j’affectionne particulièrement). Cette cantate de chambre devait résumer avec légèreté et entrain les péripéties d’une rencontre amoureuse semblable à toutes les autres, c’est à dire banale autant que sublime, ridicule autant que touchante, grandiose autant que mesquine, comique autant que dramatique.

Mon projet était de faire jouer cette cantate le jour d’un hypothétique mariage, ce qui aurait eu, avouez-le, un peu plus de cachet que les traditionnels diaporamas avec photos des mariés en train de mettre les doigts dans leur nez, ou bien de tomber du toboggan à 4 ans.

Hélas ! Le mariage n’eut point lieu. Ce projet de cantate inachevée passa quelque temps dans le tiroir, mais il n’était pas enterré pour autant. Durant l’été suivant, j’eus l’idée de l’enrichir avec des scènes de ménage bien sûr, précédant la rupture, mais aussi avec des anecdotes glanées ici et là, vécues ou entendues, ayant en commun le thème de la rencontre amoureuse, et la façon dont la technologie modifie nos comportements et nos attentes. 

Au fur et à mesure que l’œuvre prenait forme, les éléments autobiographiques se sont estompés au profit de la cohérence globale de la fiction et des exigences du théâtre musical. Papageno et Tindarella étaient nés, et ils commençaient déjà une existence autonome, détachée de celle de leur créateur. C’est devenu encore plus vrai lorsque mes amis chanteurs, instrumentistes, metteuse en scène ont apporté leur propre contribution créative, et leur enthousiasme m’a fait comprendre que j’avais visé juste et que Papageno et Tindarella racontent une histoire qui nous concerne toutes et tous.
 

Les sociologues, philosophes et anthropologues ont écrit des choses fort savantes sur la « dérégulation du marché matrimonial » et ses conséquences (citons Eva Illouz : « Pourquoi l’amour fait mal » par exemple). Sans être aussi structuré intellectuellement, et sans défendre aucune thèse en particulier, cet opéra aborde des questions très actuelles comme la douloureuse contradiction entre les stéréotypes romantiques qui nous font encore rêver sur l’Amour avec un grand A, et nos comportements de consommateurs compulsifs, pusillanimes, impatients et exigeants.

L’un des acteurs principaux de ce drame contemporain est le smartphone, objet fascinant, concentré de prouesses technologiques, qui nous rend autant de services qu’il nous inflige de sévices. J’ai inséré des « sonneries » de téléphones qui viennent sans cesse interrompre ou perturber les chansons, comme un rappel de la présence de ces petites machines qui sont programmées pour nous déranger sans cesse. Je suis allé jusqu’à demander à un chanteur de personnifier un smartphone (poétiquement baptisé « Galaxo SXRB8+ ») dans deux numéros. La présence du smartphone Galaxo sur scène rend visible l’importance démesurée que ces petites machines ont pris dans notre vie intime et quotidienne.


Ainsi le sous-titre de cet opéra pourrait être « L’amour au pays des smartphones » voire « L’amour des smartphones ». Si nous passions autant de temps à faire des câlins et dire de douces paroles aux personnes que l’on aime qu’à tripoter ces petites machines hautement addictives et à perdre du temps sur les « réseaux asociaux », le monde irait bien mieux.

D’autres sujets actuels comme la cause animale ou les violences dites « éducatives ordinaires » sont abordées, en essayant d’éviter tout biais moralisateur. Ainsi on peut se moquer des positions animalistes de Papageno autant qu’on peut les approuver. Et même lorsqu’on les approuve, l’autodérision ne saurait faire du mal. Mes ami(e)s abolitionnistes pourront sourire je l’espère en écoutant la chanson « Corrida basta ! » dont le caractère martial est volontairement exagéré et caricatural, dans les paroles comme dans la musique. Cet opéra aborde des sujets dramatiques et actuels, en gardant toujours une certaine légèreté de ton.

La musique de cet opéra reflète les contradictions de ses personnages : elle est tiraillée sans cesse entre tradition et modernité. Entre douceur et violence. Entre romantisme et machinisme. Entre flirt et brutalité. On y trouve des pastiches et quelques citations, et bien sûr de nombreuses sonneries de téléphone portables passées à la moulinette. On y trouve aussi je l’espère quelques moments de grâce qui auront l’heur de séduire et d’émouvoir les musiciens comme le public.
 

Je remercie de tout cœur les personnes qui m’ont inspiré dans la rédaction de cette histoire, à commencer par ma fille aînée qui m’a proposé le mot-valise « Tindarella » (jeux de mots entre « Tinder » et « Cindarella » c’est à dire Cendrillon). Je remercie en particulier toutes les personnes que j’ai pu fréquenter tant soit peu via les sites de rencontres, et qui m’ont toutes apporté quelque chose, d’une façon ou d’une autre. N’étant pas resté en contact avec certaines de ces personnes, je ne pourrai jamais leur témoigner ma gratitude directement. C’est le cas de l’autrice du merveilleux texto : « Tu ne vas pas faire chier s’il y a des lardons sur la pizza » à qui j’envoie toutes mes amitiés de loin !
 
Cependant, je n’ai pas cherché à dresser le portrait de personnes réelles. Les personnages de fiction que j’ai élaborés selon ma propre fantaisie avec des éléments autobiographiques et des éléments purement inventés n’ont pas d’autre but que divertir le public sans causer de tort à qui que ce soit. Il n’y a aucun règlement de comptes dans cette œuvre, si ce n’est avec moi-même à travers ce personnage de Papageno qui peut susciter la moquerie autant que la sympathie. Du reste, nul besoin pour l’auditrice de savoir démêler la part de vécu, la part d’exagération et la part d’imagination pure dans cette histoire : si elle la trouve amusante, inspirante ou émouvante, cela suffit.

Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui m’ont encouragé et soutenu durant ce travail de longue haleine. L’écriture seule m’a demandé six mois de travail à plein temps. Quant à la production de l’opéra (choisir des musiciens et chanteurs, un metteur en scène, trouver des financements, des lieux de concerts, organiser les répétitions, faire venir le public) c’est encore une autre aventure, la plus belle de toutes : celle de la musique vivante, et je tiens à exprimer ma gratitude à mes camarades musiciens qui se lancent dans l’aventure de la musique vivante, et contribuent à la création au moins autant que l’auteur, ainsi qu’à toutes les personnes qui ne sont pas sur scène mais fournissent un travail essentiel.

Merci à toutes et à tous pour votre soutien à la création musicale et théâtrale, et à bientôt pour de nouvelles aventures !