Lettera Amorosa, par Élise Bertrand
Par Patrick Loiseleur le mardi 23 août 2022, 18:29 - Disques - Lien permanent
Pour le premier album de la violoniste et compositrice Élise Bertrand, née avec le XXIe siècle, on aurait pu attendre une série de charmants pastiches attestant d'un talent précoce, destiné à mûrir et à devenir plus personnel par la suite. Il n'en est rien. Ce qui m'impressionne dans cet album c'est au contraire la maturité, l'aisance et l'assurance d'une musicienne de vingt ans qui semble déjà avoir trouvé sa voix (et sa voie).
Stylistiquement, Élise Bertrand se situe dans la droite ligne de Nicolas Bacri avec qui elle a étudié. "L'ensemble de mon travail de compositrice puise et s'assume dans un prolongement de la tradition des formes et du langage de la musique tonale élargie du XXième siècle" écrit-elle sans ambage dans le livret. Un choix qui rejoint celui de nombreux musiciens de sa génération comme Camille Pépin, pour ne citer qu'un seul nom, et qui ne sembe pas freiner sa créativité le moins du monde.
L'album commence par une sorte d'etude pour piano intulée Quasi Variazioni, interprétée avec fougue par la virtuose Dana Ciocarlie dont nous avons déjà dit beaucoup de bien dans ce journal.
Vient ensuite une sonate pour violon et violoncelle (interprétée par la compositrice et par Hermine Horiot) que j'ai beaucoup aimée, dont la plénitude sonore évoque souvent le quatuor plus que le duo. Un futur classique, à côté de la célèbre Sonate de Ravel pour la même formation.
La flûte occupe une grande place dans cet album, avec quatre Impressions Liturgiques pour flûte et piano (inspirées par le Requiem de Maurice Duruflé), ainsi que les Lettera Amorosa aux couleurs mélancoliques pour flûte et trio à cordes qui donnent leur titre à l'album, et la Mosaïque pour flûte et clarinette. La flûtiste Caroline Debonne joue toutes ces pièces avec délicatesse, mais surtout avec un sens de la ligne et de la forme qui rend la musique immédiatement intelligible. La place réservée aux vents donne un côté très "français" à cet album (on pense à Ibert, Françaix ou Poulenc). L'impression de maturité et d'assurance que j'ai mentionné tient aussi à la solidité des musiciens dont Élise Bertrand a su s'entourer. Avec l'altiste Paul Zientara et le clarinettiste Joë Christophe pour compléter une équipe qui ne comporte que des musiciens du plus haut niveau.
L'album se termine par douze Préludes opus 1 pour piano seul, interprétés par la compositrice (qui joue également du piano fort bien). Ces miniatures dont la plus longue n'atteint pas deux minutes m'ont charmé par leur inventivité, leurs brusques changements d'humeur ou de tempo. Ainsi le premier, intitulé Rêveur, commence assez doucement, dérive vers un épisode rythmé et jazzy, redevient rêveur, et termine sur une plaisanterie musicale, le tout en à peine plus de 60 secondes. Chères lectrices, écoutez donc le 12e prélude dans cette version live de 2016. On y voit une jeune fille timide encore. Mais quand elle s'installe au piano pour défendre sa pièce, on change de registre, on comprend qu'elle n'est pas la pour rigoler. Ce n'est plus une adolescente mais une artiste accomplie et sûre d'elle qui s'exprime.
Vous l'aurez compris, ce premier album de musique de chambre n'est pas un coup d'essai mais un coup de maître.