Le bel itinéraire : trois générations de compositeurs
Par Patrick Loiseleur le mardi 9 avril 2019, 15:20 - Concerts - Lien permanent
Lundi soir au CRR de Paris nous avons pu entendre pas moins de cinq créations d’Iwamoto, Choi, Jamar, Tessier et Bordalejo, interprétées par l’itinéraire et le chœur d’enfants de la Maîtrise du CRR, sous la direction d'Alain Louvier et Brigitte Coppola.
Les trois premières pièces ont été écrites par deux élèves de la classe de composition de Suzanne Giraud et par un élève de José Manuel Lopez Lopez.
On commence par une pièce pour hautbois et vibraphone de Takuro Iwamoto intitulée « Just B Natural » c’est-à-dire « Soyez Naturel » ou encore « Juste Si bémol ». D’après les notes de programme il s’agit de donner à cette pièce « un semblant de sérieux tout en lui apportant une touche de légèreté ». Je n’ai pas été particulièrement impressionné ni par l’un ni par l’autre, j’y ai plutôt vu des jeux d’écriture amusants sur le papier mais pas passionnants à entendre.
Ensuite vient « Le cauchemar infini » par Haeun Choi pour hautbois, alto et contrebasse. La compositrice explique que ce cauchemar a des origines autobiographiques, sans donner plus de détails. On ne sait donc pas ce que sa belle-mère lui a fait subir, mais il y a effectivement quelque chose de grinçant et de grimaçant dans ces miniatures séparées par de courts silences. Le tout bien écrit, bien instrumenté, et plutôt convaincant. On retrouve les modes de jeux exotiques du hautbois (souffle dans l’instrument sans anche, bruits de clés, multiphoniques) des cordes (col legno, harmoniques, glissandos, etc) qui sont habilement utilisés pour créer une ambiance.
Puis nous entendons un quintette d’Alexandre Jamar pour hautbois, alto, contrebasse, harpe et percussion, intitulé « Schalmei » (nom allemand de l’ancêtre du hautbois, également appelé chalumeau ou chalemine en Français ancien). Une belle pièce, vraiment, dont le style assez boulézien (on pense à Dérive 1 et 2 surtout), avec des trilles et des figures rapides en alternance avec des longues tenues. Tout est très maîtrisé, et la richesse polyphonique donne une sensation presque orchestrale par moment. C’est aussi une pièce qui m’a parue plus inventive et plus travaillée que les deux autres sur le plan du rythme.
Nouveau changement de plateau pour une quatrième création, celle de « Comme un écho de mémoire enfouie » de Roger Tessier, pour violon, alto, violoncelle, flûte cor et harpe. Ce jeune homme de quatre fois vingt ans qui n’a plus rien à prouver se livre au pur plaisir hédoniste d’une musique légère et sans aucune nostalgie, contrairement à ce que le titre pourrait laisser croire. Je crois y distinguer des réminiscences de la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy ; sans doute y-a-t-il d’autres citations et clins d’œil. Roger Tessier est un des fondateurs de l’itinéraire il y a 40 ans (avec Tristan Murail et Michaël Levinas), et ce sextuor est une bien belle manière de célébrer cette longue aventure.
Ce qui m’a paru sympathique également, c’est de faire monter sur scène des étudiants du Conservatoire aux côtés des membres de l’itinéraire. C’est une chose qui se fait beaucoup en Belgique (faire participer les étudiants à des concerts à côté des pros), beaucoup moins en France où une sorte de « plafond de verre » sépare encore trop souvent les professeurs de leurs élèves.
Pour terminer, nous écoutons cinq chansons de Tomas Bordalejo pour chœur d’enfants et cinq instruments (hautbois, alto, contrebasse, harpe, percussion). Je suis impressionné par le sérieux et la discipline de ces enfants de 8 à 12 ans (à vue de nez) qui arrivent sur scène en noir et blanc, dans un mouvement impeccable et une concentration totale. J’ai rarement vu autant d’implication dans un chœur d’adultes ! Et puis ce ne sont pas seulement les mouvements de scène qu’ils ont travaillé avec la cheffe de chœur Brigitte Coppola, mais la musique : ils chantent juste, en place, en articulant si bien chaque syllabe qu’on pourrait suivre tout le texte sans avoir à lire le programme. Sur des poèmes de Baudelaire, Apollinaire, Almafuerte et Carriego (ces deux derniers chantés en espagnol), le compositeur a écrit une musique parfaitement adaptée au chœur d’enfants. Mélodie et harmonies sont assez simples pour qu’on les suive à l’oreille sans grande difficulté (et par conséquent, pour que les pitchounes arrivent à les chanter !), sans qu’on tombe dans la facilité ou la banalité du néo-tonal pour autant. Il en résulte une couleur modale assez prononcée mais qui n’est pas sans charme. Et l’accompagnement musical ultra-léger avec cinq instruments seulement apporte un soutien harmonique et rythmique ainsi que des contre-chants qui viennent enrichir la texture globale. Le parfait compromis entre accessibilité et inventivité.
Ces pièces pour chœur d’enfants étant opportunément placées en fin de programme, tous les parents venus admirer et soutenir leur chantante progéniture ont écouté et applaudi les quatre premières pièces, et fait un triomphe à l’ensemble des artistes revenus sur scène pour le salut final, dans une ambiance festive et, j’ose l’écrire, bon enfant.
Voilà un très bon message pour nous autres compositeurs : si l’on veut attirer du monde à pour écouter nos créations, écrivons davantage de pièces avec chœur ! Et avec cœur, bien entendu.