Van Kuijk et fans de Schubert
Par Patrick Loiseleur le vendredi 5 octobre 2018, 09:59 - Concerts - Lien permanent
Magnifique soirée ce lundi 1er octobre, aux bouffes du Nord, avec le quatuor Van Kuijk (prononcer "fan cueille'k") qui nous a gratifié des 14e et 15e quatuors de Franz Schubert, en célébration de la sortie de leur nouveau disque consacré au génial et précoce compositeur Viennois.
On commence par le Quinzième Quatuor de Schubert, sans doute l'un des plus beaux jamais écrits pour cette formation. Écrit en dix jours seulement, on y trouve un véritable sentiment d'urgence, une tension permanente qui nous emmène d'un bout à l'autre de ces 45 minutes sans qu'on ait pu reprendre notre souffle (sauf peut-être le trio du 3e mouvement qui nous emmène danser à Vienne). Comme si Schubert qui n'avait pas encore 30 ans, sentant déjà la mort approcher, se hâtait de nous dire l'essentiel. De confier au quatuor, une formation qui lui était familière et même intime (rappelons qu'il tenait l'alto dans le quatuor familial formé avec son père au violoncelle et ses frères au violons), ses pensées les hautes, sa métaphysique la plus pure. De dire avec ce 15e quatuor tout ce qu'il ne pourrait pas dire dans les suivants, faute de temps. Tout ce qu'on ne pourrait dire avec des mots. Ce quatuor aux dimensions déjà presque symphoniques annonce Wagner et plus encore Bruckner, il n'est égalé dans la production schubertienne que une poigné de chefs-d'oeuvre : le quintette à deux violoncelle, la symphonie inachevée et les dernières sonates pour piano.
Dans cet ultime et sublime quatuor de Schubert, les Van Kuijk sont éblouissants. Techniquement c'est irréprochable et puis il y a toute la fougue, tout l'élan de la jeunesse, toute l'énergie physique et émotionnelle nécessaire pour faire justice à cette oeuvre magnifique mais aussi redoutablement difficile. C'est un bonheur de les voir aussi bien que de les entendre, d'observer par exemple la façon dont le second violon fait circuler l'énergie entre le 1er violon et les cordes graves. Le finale est exécuté à une vitesse diabolique, mais cette virtuosité n'a rien de gratuit: elle exprime la tension, la rage, l'amour de la vie peut-être et le vertige métaphysique qui nous saisit quand nous contemplons sa brièveté. C'est un marathon couru à l'allure d'un sprint, et je ne comprends que trop bien ces deux membres du quatuor qui avouaient à la radio que cette pièce est très exigeante émotionnellement autant qu'instrumentalement.
Après une pause, on se replonge dans l'univers schubertien avec le superbe 14e quatuor, connu surtout pour son grand thème et variations sur le lied La Jeune Fille et La Mort. Plus romantique peut-être que le 15e (qui est déjà au-delà du romantisme, intemporel), il est peut-être un peu plus facile d'accès pour les néophytes, et pas moins beau. La même tension lie les 4 mouvements en un seul grand arc. Le finale du 14e est une tarentelle endiablée comme celui du 15e, et la ressemblance ne s'arrête pas là car le thème du finale du 15e est en miroir de celui du 14e. C'est pourquoi il est passionnant d'entendre les deux dans la même soirée. Dans ce quatuor La Jeune Fille et La Mort, les Van Kuijk excellent autant que dans le 15e. Je suis impressionné par la justesse des accords parfaits, des phrases doublées à l'octave, mais aussi par l'ambitus dynamique. Des pianissimi à peine chuchotés aux tonitruants fff , tout l'éventail des dynamiques qui jouent un rôle expressif si important chez Schubert sont utilisées.
À noter dans vos carnets, chères lectrices: 1) garder un oeil sur l'agenda des prochains concerts du quatuor Van Kuijk 2) écouter les magnifiques albums qu'ils ont produit chez Alpha (le premier consacré à Debussy, Ravel et Chausson, le second à Mozart, et le plus récent à Schubert).