La panthère rose et le clavier bien tempéré

Jean-Sébastien Bach n'en finit pas de fasciner les musiciens de tous les âges et tous les styles. Il est impossible d'énumérer les morceaux de jazz, pop, soul, funk, rock ou techno qui reprennent des thèmes du Cantor de Leipzig, tant ils sont nombreux. La perfection du contrepoint du musicien allemand semble capable de survivre à toutes les adaptations, transcriptions, relectures, ré-interprétations. J'ai tout de même sélectionné la pochade de Aleksey Igudesman & Sebastian Gürtler, très drôle et impeccablement réalisée:

S'il est possible de jazzifier Bach sans limites, l'inverse est plus rare mais également envisageable. J'en veux pour preuve la fugue écrite par Stéphane Delplace sur le thème de la Panthère Rose (qu'on doit à Henri Mancini, compositeur américain de musiques de film). Ce qui est amusant ici c'est que les rythmes syncopés, le balancement (le swing, devrais-je écrire) sont remplacés par quelque chose de beaucoup plus régulier. Techniquement c'est une fugue à quatre voix, un beau travail de contrepoint à l'ancienne. Le titre de "Bach Panther" est d'ailleurs tout à fait explicite sur les intentions du compositeur. Le contraste entre la musique et l'interprétation très stricte de Stéphane Delplace et la manière de filmer très moderne et inventive de Stéphan Aubé est assez saisissant:

Notons que les quintes parallèles qui caractérisent le thème original de la Panthère Rose sont bien sûr absentes de la fugue de Delplace qui a choisi un style tonal des plus académiques pour cette pièce. C'est son choix, et il n'y a rien à redire là-dessus, tant on doit respecter la liberté du compositeur en la matière. Le style rythmique, l'harmonie, les timbres: tout change, sauf les notes. Ce qui constitue bien la preuve qu'il y a dans la musique bien plus que des notes. Au passage, si certains lecteurs se posaient la question: est-il possible d'écrire aujourd'hui du contrepoint à la manière de Bach ? la réponse est: oui, assurément. Et quant à ceux qui se demanderaient à quoi ça sert, on pourrait toujours leur répondre: à quoi sert la musique de toute façon ? Doit-elle vraiment servir à quelque chose ?

Commentaires

1. Le dimanche 12 décembre 2010, 22:06 par Azbinebrozer

Bon j'étire le sujet ? Sur les passerelles classique/jazz...

On peut esquisser plusieurs manières de swinguer. Lee Konitz par exemple incarnait ce style plus straight que Charlie Parker, mais très élégant, apparemment moins dans le déhanché de la croche pointée qu'autour de triolets. Je réécoutais cet après-midi cet album où il joue très âgé moins de vélocité, très relaché, mais avec le meilleur représentant justement d'une sorte de fusion piano jazz/classique : Brad Mehldau. Y a-t-il du Bach ? Je ne sais pas du tout...
http://www.youtube.com/watch?v=LyUJ...

Ce garçon impose souvent à l'aide d'une indépendance des deux mains, des décalages entre le swing de la section rythmique et des cadences classiques très raides. Il en résulte une tension qui crée un sentiment dramatique fort qui explose l'univers jazz ! Mais cela tient parfois un peu du procédé. On sent un goût pour le piano romantique. Je trouve que son « swing » très mélancolique manque de chaleur. En fait je l'aime vraiment bien dans des poses plus toniques ! Comme ici en 2 vidéos :
http://www.youtube.com/watch?v=SLre...
http://www.youtube.com/watch?v=-5BZ...

Dans cet horizon entre jazz et classique il s'est d'ailleurs mis à composer pour plus grand orchestre : Highway Rider. Assez épais et encore très naïf...

Voilà peut-être le piano jazz actuel le plus proche de la musique classique ?

2. Le dimanche 12 décembre 2010, 22:46 par Papageno

étirez tant que vous voulez ! merci de partager tout ça avec nous.

3. Le lundi 13 décembre 2010, 15:21 par Papageno

Igudesmann doit sûrement lire ce blog car il vient de publier un nouveau clip sur Jean-Sébastien Bach:

http://www.youtube.com/watch?v=9A95...

avec la participation de John Malkovitch