Entrées en Matière d'Aurélie Loiseleur

Ce blog est consacré à la musique, mais vous avez remarqué sans doute que la poésie y tient une place importante, celle d'hier comme celle d'aujourd'hui. Celle qu'on lit, qu'on récite, qu'on apprend, qu'on remâche, qu'on met en musique parfois. Mais aussi celle qu'on écrit, celle qui chante ou qui refuse de chanter, ou qui chante son refus de chanter. Comme celle d'Aurélie Loiseleur qui vient de publier Entrées en matière, son deuxième livre de poésie, aux éditions Nous.

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Je ne suis pas vraiment qualifié pour produire et publier une recension en bonne et due forme des Entrées en matière. Lisez plutôt celle de Philippe Beck sur Sitaudis. En revanche, le Journal de Papageno vous propose d'écouter 3 poèmes extraits de ce recueil, lus par l'auteur(e) sans hauteur aucune.

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De partout se lit se livre: n'a que des entrées annonce la première page du recueil: Entrées en éléments, Entrées en corps, Entrées en l'autre, Entrées en poésié, Entrées en animal, Entrées en homme, Entrées en mort.

Pour terminer cette invitation à entrer dans la poésie d'Aurélie Loiseleur, ce paysage dévasté mais étrangement attachant et lumineux, voici un extrait des Entrées en poésie:

Le Beau ne me dit rien.

Le Vrai ne me touche pas.

Le Juste ne me regarde pas.

Dieu ne se mêle pas de moi.

Mais la vie me parle et le monde me captive.

Commentaires

1. Le mardi 5 octobre 2010, 22:06 par Azbinebrozer

Je lis cet extrait de poème à un moment de ma vie où sans que je comprenne bien tout à fait comment le vrai me procure de nouveau force. Lorsqu'on aperçoit l'autre côté on s'en effraie un peu, on apprend même le mot misologie. Est-ce le même monde qui me captive ?

Quelle voix ! Et quelle très bonne initiative que de mettre ceci en ligne. Ce n'est pas facile mais au moins cela donne envie !

2. Le mercredi 6 octobre 2010, 23:15 par Papagena

misologie: c'est précisément l'accusation que porte Platon contre ceux qui se montrent réfractaires aux paroles de son Socrate. Or le Vrai, le Juste, le Beau, voilà la triade platonicienne au complet. Et Dieu, ici, est mis pour les diverses représentations théologiques du monde.
Depuis le XIXème siècle, surtout à la fin (Rimbaud, disons), les poètes cherchent à saper les fondements de la vieille civilisation occidentale. Que reste-t-il, si on secoue les catégories de pensée traditionnelles? Il reste le monde, mais neuf, mais nu. Le même, celui qui attire, qui fascine - il est du côté de la vie, qui toujours se renouvelle. Et l'homme, lui, se renouvelle par la mort. Ce poème est bref, mais il implique un geste démesuré. Une provocation impossible, une utopie peut-être, surtout destinée à retourner le regard vers ce qui nous fait penser.

3. Le jeudi 7 octobre 2010, 22:31 par Azbinebrozer

« Il reste le monde, mais neuf, mais nu. » En musique oui oui j'essaie d'écouter aussi comme une première fois, le bruit des camions, la musique contemporaine, celle fort belle de M. Loiseleur, la poignée de porte et le « déclic du ressort puissant mais bien huilé», les saturations d'une guitare rock... Un peu nomade et sans échelle de valeur. Papageno me pardonnera ? ;- )
Misologie porte en effet en soi une accusation qui ne fait pas assez honneur au sens de l'accueil qui inspire le Journal de Papageno. Et je relis votre poème qui ne donne pas dans le mépris de la triade, juste dans l'insensibilité ?

Le monde « ... Le même... ». C'est là où le bât blesse pour moi qui verse selon les années soient vers l'un soit vers l'autre. Pauvre hère, si seulement j'étais trois fois rien de Pessoa... Comment voir le monde avec les yeux du vrai du beau et du juste (ne serait-ce que pour l'aider à y parvenir) et rapidement voir aussi ce monde nu ? Mieux les deux en même temps ? Résolution : lire vos poèmes ?

Si j'ai réagi ici, c'est aussi que je souffre d'une étrange maladie dont vous n'êtes bien sûr en rien responsable, qui me fait voir des Schopenhauer partout ! « Vie mort renouvellement... » , à cet enchainement de mots je crois voir trop souvent la dénonciation d'un complot de l'espèce ! La vie, la volonté, amour, sexualité nous sommes trompés... J'ai autour de moi des amis qui me désespèrent, ils sont hindouistes, lisent les romantiques allemands et fuient une partie de la vie souvent pour un monde plus « profond », souvent un arrière monde à mon sens... Nouvelle résolution : lire vos poèmes ! ;- )

Par exemple, ce symptôme s'est encore déclaré cet été en visite dans l'exposition « Munch, l'anti-cri ». Belle communication et le spectacle de l'éros incarnée par la femme systématiquement liée à la mort, à la perte de soi... Question, à rendre la femme moins abstraite (au-delà du vrai, du beau, du juste) combien de versions de la femme nature, instrument de tant de desseins sourds, matériels ?... En sortant de l'expo j'avais envie de crier ! Vite des artistes femmes !

En lisant votre CV seulement aujourd'hui j'ai cru défaillir ! ;- ) Pardonnez la naïveté de mes raccourcis ! Deux dernières questions pour abuser encore ? Je travaille aussi dans l'éducation, pour ma part dans le 1er degré. Vous évoquez une poésie qui « secoue les catégories de pensée traditionnelles », le Vrai, le Juste, le Beau. Jusqu'à quel point est-ce encore bien nécessaire ? A quels point les catégories de la pensée actuelle : praticité, efficacité, être fun, cool... sont-elles pour vous filles des catégories classiques que la poésie devrait secouer ?

Pour préciser un doute qui m'animait déjà hier, hors de la poésie, sur l'éducation nationale elle-même. A force de vider les concepts classiques de leur essence, de se centrer sur l'apprenant, d'évaluer des compétences n'est-elle pas elle-même atteinte de misologie ? Une école à l'aune de la vie ?... Désolé pour ce dernier mauvais coup bas... Merci merci surtout pour votre première réponse, pour le partage de votre travail ici. Musique, infos, poésies on est bien chez vous !
(Bon là si je ne cours pas lire vos poèmes je ne mérite plus de revenir ici !)

4. Le vendredi 8 octobre 2010, 12:10 par Papagena

merci beaucoup à vous pour cette page profonde de réflexion qui sait tisser l'art (peinture, musique, poésie) au vécu personnel. Il me semble que la poésie est sauve du moment qu'elle est expérimentable à volonté. Il n'y a de mauvaise poésie que celle qui n'inspire rien (c'est ce que dit Paul Valéry, d'ailleurs, quand il dit que le poète n'est pas l'inspiré, mais le lecteur).
A ce propos je réponds à votre avant-dernière question: tout est susceptible de poésie. Il n'est rien d'extérieur à la poésie, pas même ce que nous étiquetons à priori anti-poétique, et qui fut longtemps le laid, le bas, etc. La poésie se réinvente, c'est sa vitalité. Elle est réceptive à la modernité, bien sûr. Tout est permis. Et cette liberté est plutôt une école de rigueur, croyez-moi.
Quant à l'école, je n'ai pas d'avis mûr sur la question. je pense juste qu'on ne cesse de se former aussi bien dans la cour que dans la classe, en vacances autant qu'en cours, et j'aime quand dans la classe règne une certaine rigueur qui apprenne à penser (quel que soit l'âge) et pour cela apprenne à apprendre. Mais ce sont des banalités. Par exemple je voudrais bien ne pas être puriste, mais c'est plus fort que moi, je souffre physiquement quand les mots sont défigurés! Ce sont des amis, il faut comprendre.
Vider les concepts classiques de leur essence... C'est une provocation effrayante, bien sûr. Condamnable d'un point de vue social, puisque les sociétés ont besoin de repères, de routines et de valeurs. On ne fait guère de festins sur des tables rases. Cependant la poésie évolue dans l'intranquillité (cf Pessoa) et ne s'installe pas. Ainsi elle est sans mensonge, même dans la fiction: auscultant les mouvements de l'être en examinant sa langue (pardon pour ce registre médical...)