Il aime le piano (Le roman du piano, par Dieter Hildebrandt)

Le titre de ce billet est un délicate allusion à un précédent article sur cette étrange bête qu'on appelle un piano. Dieter Hildebrandt y a consacré tout un livre, intitulé dans la version originale, Pianoforte: Der Roman des Klaviers im 19. Jahrhundert, suivi d'un deuxième livre: Piano, piano ! Der Roman des Klaviers im 20. Jahrhundert. Les deux tomes ont été rassemblés en un seul dans la traduction française de Brigitte Hébert, Le Roman du piano (chez Actes Sud, collection Babel).

Ce livre est l'ouvrage d'un mélomane et non d'un musicologue. C'est assez dire s'il est drôle, inventif, décalé, et réjouissant à lire. Le style est assez brillant, l'ironie suffisamment discrète pour qu'on puisse y échapper si on n'est pas assez attentif. Quoiqu'un peu trop centré à mon goût sur le romantisme Allemand (mais le romantisme musical a-t-il jamais eu d'autre patrie que l'Allemagne ?), cette étude ou plutôt cette promenade érudite nous invite à examiner le piano sous tous les angles. Les grands virtuoses et compositeurs y côtoient les jeunes filles de bonne famille dont l'apprentissage du piano est un signe distinctif; les anecdotes, caricatures et pastiches voisinent avec des considérations plus sérieuses sur les bouleversements de la musique et de la société au XIXe siècle. De la facture de l'instrument au statut de l'artiste, des conseils bienveillants de pédagogues comme Czerny aux talents d'improvisateur du jeune Beethoven, cette étrange boîte à touches qui a occupé une place tellement dominante dans la musique occidentale jusqu'à l'arrivée du disque est disséquée sans aucune rigueur scientifique, ce qui n'est pas un défaut, bien au contraire. La multiplicité des points de vue et des approches (musicologique, sociologique, mécanique, historique) permet de mieux saisir la personnalité complexe de l'instrument, et la fulgurance de certaines remarques peut pousser le lecteur à s'interroger à son tour: qu'est-ce qu'il a de spécial, ce pianoforte ? Cette boîte trop grande pour être transportée, mais suffisamment petite pour trouver sa place dans un salon (contrairement à l'orgue) ? Ce clavier noir et blanc qui réduit ou veut réduire toute la musique à quatre-vingt-huit touches ? Cet objet massif à la mécanique sophistiquée qui a été le confident et le consolateur de Schubert, Chopin, Liszt, et tant d'autres ? Cet instrument en apparence si simple (il suffit d'enfoncer une touche pour produire un son) et en réalité si difficile à maîtriser ?

La grande épopée romantique du piano se poursuit aux XXe siècle. On y croisera aussi bien de grands interprètes comme Horowitz ou Gould que les pianistes de jazz et bien sûr les compositeurs: "Boulez guillotine Schönberg" et "le Dieu des compositeurs joue au dé" (Stockhausen), "le clavier bien préparé" (Cage), voici seulement quelques-uns des sous-titre de cette histoire en diagonale du clavier à marteaux, qui se termine comme de juste par un chapitre sur l'improvisation. Manière de dire que tout reste possible...

Le style est alerte, on ne s'ennuie pas une seconde à lire ce petit pavé de presque 500 pages. Je vous invite à consulter cet extrait disponible en ligne pour vous en convaincre et vous recommande chaleureusement la lecture, non sur la plage car c'est un peu tard maintenant que les enfants sont rentrés à l'école, mais au coin du feu, pour occuper les longues soirées de la Toussaint. Et finir en beauté cette année 2010 qui avec les bicentenaires de Chopin et Schumann aura plus que jamais remis le piano à l'honneur.

Commentaires

1. Le jeudi 16 septembre 2010, 12:49 par Jean-Brieux

Merci pour ta délicate attention. ;-)