Lamartine c'est schtroumpfement beau

Piqué dans leur dernier album des schtroumpfs (Schtroumpf les bains, éditions le lombard) qui voit les petits êtres bleus goûter aux joies et aux malheurs du tourisme, ces deux allusions à un poème célébrissime:

Comme le signale une note de bas de page, toute ressemblance à un poème existant serait purement schtroumpf.

Outre le fait que les schtroumpfs vont en vacances au bord d'un lac, ce qui rendait l'allusion au Lac de Lamartine quasi obligée, il est intéressant de noter que la poésie de Lamartine est assimilée à la poésie tout court. Plus que tout autre (et avant tous les autres) il a incarné cette poésie romantique qui rêve de se substituer à la musique, et, comme la musique, d'exprimer les sentiments les plus intimes et les plus élevés de la façon la plus directe qui soit. Les accusations de mièvrerie, de fadeur, voire même de franche hypocrisie (pensez au sinistre personnage de Canalis dans la Comédie humaine de Balzac) qu'on lui a porté par la suite n'ont fait que renforcer ce statut privilégié de la poésie romantique. A tel point que pour la plupart des gens poésie est synonyme de poésie romantique et qu'on emploie souvent l'adjectif poétique comme un synonyme de romantique ou même de beau ou encore émouvant ce qui permet d'appeler poétiques des choses qui n'ont pas de lien direct avec la littérature (personnes, paysages, oeuvres d'art). Mais comme cette poésie-là prétend venir directement du coeur (et par conséquent n'user d'aucun artifice et n'être pas le produit d'un travail d'écriture) et englober la totalité du monde, à travers la capacité de notre coeur à entrer en résonance avec lui, cela n'a rien d'incohérent.

Il y eut un certain nombre de tentatives de mise en musique du Lac, la plupart contemporaines de Lamartine, mais aucune qui soit pleinement convaincante. Cette poésie porte une telle musicalité dans le texte lui-même qu'on peine à lui apporter quelque chose de plus par la musique. Une musique trop fluide ou discrète n'apporterait rien au texte, tandis qu'une musique plus audacieuse pourrait se trouver en porte-à-faux avec les sentiments exprimés. Un vrai casse-tête ! Finalement la mise en musique la plus convaincante de la poésie de Lamartine se trouve peut-être chez Liszt, qui dans ses Harmonies poétiques et religieuses, cycle de pièces pour piano seul qui comporte des chefs-d'œuvres absolus comme Funérailles, Bénédiction de Dieu dans la solitude et Pensées des Morts, a placé de longs extraits des poèmes de Lamartine dont il s'est inspiré en tête de chaque pièce. L'idéal en concert (ou pourquoi pas au disque) étant d'avoir un récitant pour déclamer les vers avant que la musique commence. Ainsi pour l'Invocation qui ouvre le cycle et qui termine ce billet:

Élevez-vous, voix de mon âme
Avec l'aurore, avec la nuit !
Élancez-vous comme la flamme,
Répandez-vous comme le bruit !
Flottez sur l'aile des nuages,
Mêlez-vous aux vents, aux orages,
Au tonnerre, au fracas des flots;
L'homme en vain ferme sa paupière;
L'hymne éternel de la prière
Trouvera partout des échos !

Élevez-vous dans le silence
A l'heure où dans l'ombre du soir
La lampe des nuits se balance,
Quand le prêtre éteint l'encensoir;
Élevez-vous au bord des ondes
Dans ces solitudes profondes
Où Dieu se révèle à la foi !
Chantez dans mes heures funèbres :
Amour, il n'est point de ténèbres,
Point de solitude avec toi !


Commentaires

1. Le jeudi 8 octobre 2009, 17:30 par AS

Au moment où nous bombardions allègrement la Serbie, un ami fraternel de Lamartine et des bombardés avait écrit en gros, sur les murs du boulevard Saint-Germain :
Otan suspends tes vols !

2. Le jeudi 8 octobre 2009, 22:38 par Papageno

Si j'en juge par le nombre de réponses dans google pour cette phrase, il n'est pas le seul à avoir fait ce calembour. Cela dit, et fort heureusement, cette guerre est derrière nous. Et l'adoption inespérée du traité de Lisbonne (merci la crise) ouvre la porte à une adhésion des ennemis d'hier à l'Union Européenne d'ici à une dizaine d'année, peut-être même avant. Si la France et l'Allemagne l'ont fait après 1945, pourquoi pas la Serbie, la Croatie et le Monténégro ?

3. Le vendredi 9 octobre 2009, 21:14 par Papagena

Sur le calembour - Otan suspend ton vol - préciser tout de même que le temps du lac est un temps anhistorique, un temps contenu, continu, utopique, suspendu au système d'écho entre ses rives, si bien qu'on a pu dire que c'était la forme même du vers.
La guerre apparaîtra toujours un peu à contretemps dans la poésie romantique...
Tout à fait dans l'esprit de ce qu'écrit Papageno, Lamartine a justement ajouté un commentaire (dans l'édition des souscripteurs, en 1849) à sa si célèbre méditation du Lac. Il revient sur le rapport de la poésie à la musique, et l'avis du poète est plutôt mitigé, qu'on en juge plutôt:
"Le commentaire de cette méditation se trouve tout entier dans l’histoire de Raphaël , publiée par moi.
C’est une des poésies qui a eu le plus de retentissement dans l’âme de mes lecteurs, comme elle en avait eu le plus dans la mienne. La réalité est toujours plus poétique que la fiction ; car le grand poète, c’est la nature.
On a essayé mille fois d’ajouter la mélodie plaintive de la musique au gémissement de ces strophes . On a réussi une seule fois. Niedermeyer a fait de cette ode une touchante traduction en notes . J’ai entendu chanter cette romance et j’ai vu les larmes qu’elle faisait répandre. Néanmoins, j’ai toujours pensé que la musique et la poésie se nuisaient en s’associant. Elles sont l’une et l’autre des arts complets : la musique porte en elle son sentiment, de beaux vers portent en eux leur mélodie."

4. Le samedi 10 octobre 2009, 11:58 par AS

Merci. C'est beau ce commentaire de Lamartine et cela rappelle quelques propos de Cicéron sur le cantus obscurior de la langue (latine) : la musique ajoutée à un texte ne doit être qu'un éclaircissement, ou plutôt un prolongement de la musique contenue dans la langue, car la langue est musique.

5. Le lundi 12 octobre 2009, 12:19 par Elisabeth

On schtroumpfe aussi cette strophe dans Tintin (Un soir, t'en souvient-il ?), in le trésor de Rackam Le Rouge. C'est le capitaine qui se laisse aller à un instant lamartinien, mais un requin le rappelle à la dure réalité des flots marins. Faut pas confondre les lacs et les mers, les carpes et les carnassiers.