Récital "1913" par Stéphanie d'Oustrac et Pascal Jourdan à la cité de la musique
Par Patrick Loiseleur le mercredi 25 février 2009, 15:04 - Répertoire - Lien permanent
La cité de la musique organise tout un cycle de concerts sur "1913, année de la rupture". Hier soir, la mezzo-soprano Stéphanie D'Oustrac et le pianiste Pascal Jourdan nous ont proposé une sélection de mélodies françaises écrites en 1913, certaines très connues et d'autres beaucoup plus rares. Au menu:
- Jacques de La Presle: quatre mélodies. Une rareté, donnée en présence de la petite-fille du compositeur qui tente de faire revivre sa musique. Comme celle de Fauré, celle-ci reste très sage harmoniquement, avec de belles couleurs, notamment lorsque l'accompagnement du piano se déplace dans l'aigu.
- Darius Milhaud: Trois poèmes en prose de Lucile de Chateaubriand. écrites à l'âge de vingt ans, ces mélodies sont déjàt rès personnelles et très modernes, et pas sentimentales pour deux sous.
- Maurice Ravel: on entend d'abord des pièces pour piano (à la manière de Borodine, Chabrier, etc). Le jeu de Pascal Jourdan n'a rien d'extravagant mais sa délicatesse de toucher correspond bien à la musique française, et il respecte le texte scrupulusement (que demander de plus ?). Ensuite ce sont Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, délicat chef-d'oeuvre de celui qui avait déjà atteint la pleine maturité de son style avec Daphnis et Cholé.
- Claude Debussy: Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, dont deux sur les mêmes texte que Ravel, d'une écriture beaucoup plus sobre mais pas moins efficace.
- Lili Boulanger: Clairières dans le ciel. Si l'on reconnaît l'influence de Franck, Debussy ou Fauré dans telle ou telle pièce, ces mélodies raffinées et pleines de charme sont la révélation de de la soirée.
- Gabriel Fauré: Nocturne n°11 pour piano, plutôt une élégie qu'un nocture à vrai dire, avec des harmonies tendues, dissonnantes, douloureuses assez inhabituelles chez Faurée, et une conduite des voix intermédiaire qui fait penser aux intermezzi de Brahms.
- Louis Vierne: Stances d'amour et de rêve. Les deux premières mélodies font penser à Fauré ou Duparc, celle qui termine le concert (Le Galop) est une furieuse toccata pour piano, au-dessus de laquelle Stéphane d'Oustrac déploie toute sa puissance vocale.
En bis, on a droit à Chloris de Reynaldo Hahn, un délicat pastiche de musique baroque qui commence par une citation du célèbre aria de Bach (pour ceux qui seraient curieux de l'entendre, on peut la trouver sur Youtube chantée par P. Jaroussky), un pur moment de bonheur.
Quelques mots sur les interprètes: Stéphanie d'Oustrac a une belle présence en scène (l'habitude de l'opéra certainement). Elle dispose avec sa voix d'un superbe instrument d'une souplesse et d'une précision impressionantes. De la puissance, des aigus à volonté, mais aussi des pianissimos à couper le souffle. Une diction parfaite (on distingue chaque mot ce qui n'est pas si fréquent avec les voix féminines). Le tout au service d'un sens dramatique consommé, qui raconte chaque mélodie comme une histoire avec son rythme, ses personnages, ses coups de théâtre. Quant au pianiste Pascal Jourdan, si la fantaisie n'est sans doute pas sa première qualité, il déroule sous les pieds de la mezzo un tapis sonore moelleux et l'enveloppe dans un délicat voile de gaze. Au final, ne chipotons pas, ces deux artistes nous ont offert un magnifique récital, comme on aimerait en entendre plus souvent.
Si la rupture
annoncée dans le programme n'est guère perceptible dans cet instantané de la mélodie française en 1913, on y trouve les meilleures qualités de la musque française: le raffinement des harmonies, la délicatesse des couleurs, le soin apporté aux détails.
Commentaires
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c'est réparé. merci !
Bonjour Patrick !
Je m'étonne un peu de trouver sous une plume aussi harmoniquement sensible que Fauré est très sage. :-o Parce que dès le Fauré central, ça module sévère, tout de même ! Pour prendre le plus connu, la Bonne Chanson passe son temps à changer de tonalité de référence, avec une audace certaine pour la période.
Personnellement, je n'ai pas trop d'admiration pour les mélodies de Boulanger (je préfère, étrangement, de très loin celles de Nadia, moins bien servies au disque), et en particulier les Clairières, mais ce cycle est incontestablement personnel. J'ai beaucoup plus de fascination pour le climat épique des mélodies de Vierne, mais je dois reconnaître que sur le plan strictement musical, il s'y passe moins de choses.
Quant à D'Oustrac, c'est aussi la vertu de disposer d'une voix qui n'est pas forcée, habituée à jouer avec des crincrins et des diapasons outrageusement bas. :-)
Merci beaucoup d'avoir rendu compte de ce concert, rien que de lire le programme et le commentaire, c'est réjouissant !
J'aime beaucoup la musique de Fauré, que j'ai eu l'occasion de jouer à plusieurs reprises (Requiem, Quatuor) ou d'analyser (Nocturnes). C'est un maître de l'harmonie, ce qui veut dire qu'il prépare et résout les dissonances soigneusement, d'où l'impression de fluidité et parfois même de fadeur que sa musique peut donner. Les harmonies fauréennes sont très personnelles et très élaborés, mais il répugne clairement à rudoyer l'oreille comme certains de ces contemporains n'hésitaient pas à le faire (Strauss ou Schoenberg). De l'audace ? Oui si on considère qu'il a eu l'audace de ne pas se laisser influence par les wagnériens ni par les impressionnistes, et de rester ou plutôt devenir lui-même.
Fauré est né en 45, Strauss (qui a vite cessé de rudoyer qui que ce soit) en 64 et Schönberg en 74... A ce tournant, je crois que ce n'est pas rien comme écart : la formation, tout simplement...
Ce qui compte est toujours d'abord la date de naissance.
Je suis tout de même toujours admiratif de la complexité sur le papier de ce qui est, oui, si évident et calme à l'oreille. Et tout de même, ces changements de couleur incessant dans les meilleures mélodies de la maturité...
Après, je conviens tout à fait que dans un nombre tout à fait important de ses oeuvres, on reste peu aventureux. Tout de même, c'est toujours raffiné, nettement plus que certains qui exerçaient aussi à son époque (mais qui étaient nés avant) : il suffit de comparer aux mélodies de Gounod, Bizet, Massenet et même Reyer. Et puis bien sûr tous ceux, même excellents, qui étaient plus ses contemporains : Chausson (dans ses mélodies uniquement, sinon c'est passionnant), Hüe, Büsser, Dubois, Faure, Godard et tant d'autres.
L'audace est dans le travail d'écrire, pas forcément dans la rudesse. :-) Et sûrement pas dans le fait d'avoir résisté à Wagner, témoin Pénélope. Même les impressionnistes, sur la fin, ça peut se discuter - la Chanson d'Eve !