Un secret de polichinelle
Par Patrick Loiseleur le dimanche 22 février 2009, 16:48 - Répertoire - Lien permanent
Tous les altistes connaissent ces deux concertos, car ils ont à un moment ou un autre de leur scolarité eu à les travailler. Celui de Jean-Chrétien Bach et celui de Haendel. Des classiques. Des valeurs sûres.
Le seul problème: Jean-Chrétien Bach n'a jamais écrit de concerto pour alto. Georg Friedrich Haendel non plus. Ces concertos sont des pastiches des années 1930. Leur auteur, Henri Casadesus (1879-1947), membre de cette illustre famille de musiciens, jouait de l'alto et de la viole d'amour. C'est lui par exemple qui tenait la partie d'alto lors de la création des quatuors avec piano de Fauré. C'est aussi un des tous premiers pionniers de ce qu'on appelle aujourd'hui la musique ancienne ou la musique sur instruments d'époque, car il avait créé une Société des Instruments Anciens qui a parcouru le monde entier entre 1901 et 1939
Pourquoi les altistes continuent à propager le (pieux) mensonge selon lequel ces concertos sont des pastiches d'ailleurs fort bien écrits et tout à fait dignes d'intérêt ? Ainsi Pierre Lénert, dans un entretien sur ResMusica parle pudiquement des
concertos de Jean-Chrétien Bach et Haendel arrangés par Robert Casadesus
. Une des explications possibles est le prestige du nom: Haendel et Bach sont comme Mozart des noms indiscutables, clairement associés à une époque mais aussi à une certaine idée romantique du "génie" qui fait que lorsqu'on voit leur nom sur l'affiche, on est certain à l'avance de la qualité de la marchandise. Ce sont des labels comme le Roquefort AOC ou le café Max Havelaar. Du coup, même si elle est d'une honnêteté relative, l'astuce consistant à éditer sous le nom de Jean-Chrétien Bach un concerto dans le style pré-classique a certainement permis une diffusion rapide et facile de l'oeuvre. Ce qui est plus étrange, c'est que l'imposture dure encore aujourd'hui, à preuve la couverture de la partition que j'ai acheté il y a quelques années, sur laquelle on peut lire Concerto de J-Chr. Bach reconstitué et harmonisé par Henri Casadesus
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Il y a d'autres exemples de pastiches célèbres, comme l'Adagio d'Albinoni (écrit par Remo Giazotto en 1945), qui ont gardé leur dénomination d'origine longtemps après que la supercherie soit découverte. Ce qui crée un dilemme pour les compositeurs. Admettons que je ponde une pièce de dans le style de Chopin, j'ai tout intérêt à la publier sous le nom de Chopin, en inventant une histoire de malle trouvée dans un grenier: les pianistes la joueront sans barguigner dans le monde entier. Alors que si on leur dit d'entrée de jeu que c'est un pastiche, ils ne la regarderont même pas.
Plus étonnant encore, le pastiche d'époque: Mozart avait publié à l'époque une symphonie de Michel Haydn (le petit frère de Joseph, dont il était très proche) sous son nom. Comme il avait recopié le premier mouvement de sa main et ajouté quelques mesures d'introduction, le subterfuge n'a été découvert que deux cents ans plus tard et tous les orchestres qui jouaient la 37e symphonie Köchel 444 de Mozart ont subitement cessé de la jouer. Le label Mozart
lui ayant été retiré, on a cessé de trouver tout charme à cette symphonie. Les musiciens et mélomanes seraient-ils victimes de préjugés voire d'auto-suggestion dans certains cas ?
Tout cela est très amusant, mais plus de 60 ans après la disparition d'Henri Casadesus, il est peut-être temps de rendre à César ce qui est à César et de cesser de jouer la comédie. C'est ce qu'a fait Michel Michalakakos qui a enregistré ces concertos en annonçant sur la pochette du disque: Henri Casadesus, concerto pour alto dans le style de Jean-Chrétien Bach et on ne peut que saluer son honnêteté.