La musique, "attribut de reproduction spécifique" ?
Par Patrick Loiseleur le lundi 22 décembre 2008, 14:40 - Théorie musicale - Lien permanent
A quoi sert la musique ? Si je n'écoutais que mon coeur, je répondrais: à quoi sert le reste ? et nous en resterions là. La question est plutôt: à quoi sert la musique pour ceux qui ne sont pas monomaniaques comme l'auteur de ce journal ?
Charles Darwin s'était déjà penché sur la question en 1871 dans son ouvrage The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex. Il y suggère que la musique et la danse des hommes et des femmes, comme le chant des oiseaux, est utilisée par les individus pour attirer et séduire leur partenaire, et maximiser ainsi leurs chances de reproduction. Tout comme la queue du paon, les aptitudes artistiques, bien qu'inutiles à la survie proprement dite, serviraient d'attribut de reproduction spécifique, c'est à dire dans le langage d'aujourd'hui à choper plus de gonzesses. Et si on en juge par certains sites de fans dédiés à Hélène Grimaud, ça fonctionne pour les deux sexes apparemment.
Dans son ouvrage de vulgarisation This is your brain on music, Daniel Levitin reprend cette théorie, et en recherche des preuves scientifiques. Il considère par exemple le nombre exceptionnel de partenaires du guitariste Jimmy Hendrix, qui assurément a disposé d'au moins autant d'occasions de reproduction que le roi David, encore que les techniques modernes de contraception aient quelque peu limité sa descendance. Il produit également des sondages qui montrent que les femmes semblent préférer les artistes aux banquiers en ce qui concerne la sélection du meilleur père génétique. Mais en ce qui concerne le meilleur père de famille pour faire bouillir la marmite et élever les enfants, c'est l'inverse: les réalités pragmatiques comme l'argent prennent le pas sur le charme de l'artiste.
Par ailleurs d'autres études semblent indiquer que l'aptitude à la musique est bien en partie génétique, un trouble comme l'a-musie (l'incapacité à reconnaître les notes où à le chanter un air à peu près juste) étant héréditaires. On peut lire à ce sujet le papier de Dominique Nancy et Mathieu-Robert Sauvé de l'Université de Montréal. On peut lire également les papiers de Geoffrey Miller, un spécialiste de la psychologie évolutionnaire qui a notamment étudié la variation des pourboires des danseuses nues en fonction de leurs cycles menstruels (!).
Ainsi donc la maîtrise d'un art comme la danse ou la musique serait comme les bois du cerf: inutile et même nuisible pour les tâches de la vie quotidienne (les bois d'un cerf le gênent pour courir), nécessaire aux individus pour maximiser leurs chances de reproduction.
Pour être basée sur des observations justes, cette théorie n'en est pas moins fondamentalement incomplète, car elle passe complètement sous silence (c'est le cas de le dire) la dimension sociale de la musique. Pas besoin d'avoir un doctorat en génétique pour savoir que la musique est d'abord et avant tout un phénomène de groupe. Peut-être notre grand Levi-Strauss a-t-il d'ailleurs écrit sur le sujet. Dans toutes les sociétés humaines connues, la musique et la danse font partie du quotidien. Chansons et danses soudent la communauté et rythment la vie quotidienne tout en solennisant les événements rares ou les fêtes rituelles. Et nous ne parlerons même pas du rapport entre musique et religion de peur d'être emportés dans une discussion trop vaste.
Dans le fond, les riches retraités qui écoutent un concerto de Beethoven salle Pleyel, les jeunes fauchés qui dansent et frappent des mais à un concert de R&B au stade de Bercy, les happy few qui se régalent les oreilles dans un caveau jazz, les intellos qui vont au concerts de l'avant-garde façon années 1960, tous nous recherchons la même chose dans la musique: une émotion partagée, le sentiment d'appartenir à une communauté. La musique peut susciter en nous des émotions variées, mais celle qui domine est sans doute une joie intense et profonde. D'où vient-elle ? Du sentiment que nous sommes peut-être un peu plus et un peu mieux qu'un tas de chair muni de quelques neurones, d'un appétit vorace et d'une agressivité congénitale. Peut-être sommes nous des singes civilisés, après tout.
Commentaires
Dis donc: banquier et musicien, Schoenberg a dû se choper un maaaax de gonzesses (sifflement admiratif)
Hum, j'aimerais bien reprendre l'étude de Geoffrey Miller pour voir s'il ne s'est pas trompé quelque part...
Et moi qui évitais de parler du bel organe des ténors pour ne pas être (trop) lourdingue !
Désolé, je suis modérateur sur un forum de motards et c'est deux univers assez différends. Je me suis laissé emballé.
Je ne recommencerai plus.