Ernest Chausson, par Jean Gallois
Par Patrick Loiseleur le samedi 18 octobre 2008, 11:48 - Livres - Lien permanent
Comment remplir 600 pages avec la vie et l'oeuvre d'Ernest Chausson ? L'auteur du Poème pour violon et orchestre et du Roi Artus n'a en effet laissé qu'une cinquantaine d'opus. Il faut dire que venu tardivement à la musique et décédé à 44 ans, il n'aura été compositeur qu'une quinzaine d'années. Le plus doué des élèves de César Franck, s'il n'a pas écrit autant que Beethoven ou Schubert, tant s'en faut, nous laisse plus d'un chef-d'oeuvre, dans tous les genres: musique de chambre, mélodie, orchestre, opéra.
Pour sa monographie chez Fayard, Jean Gallois prend donc tout son temps : il commence par brosser un large tableau politique et culturel de la France de 1848 à 1900. Il détaille la jeunesse de Chausson, ses hésitations, son goût pour la littérature, sa vocation relativement tardive pour la musique, ses rapports avec Massenet, d'Indy, Duparc, Fauré. Mais la moitié de l'ouvrage est tout de même consacrée aux oeuvres et à leur analyse détaillée. Le tout se lit avec plaisir pour peu qu'on soit un peu familier avec la musique de Chausson. On y trouve nombre de documents passionnants, comme cette lettre à un ami mélomane écrite en 1884, alors que Chausson, qui a déjà écrit des mélodies, le trio avec piano ainsi que le poème symphonique Viviane, est encore en proie au doute et au découragement comme au tout début:
Ah mon cher ami, que vous êtes heureux d'être dilettante. Vous jouissez tranquillement de ce qui est beau, et c'est pour vous que les poètes travaillent, depuis Homère jusqu'à Baudelaire (...) Vous êtes vraiment sage de vous en tenir là. En dehors de ces grands hommes, il y a les milliers de petites fourmis qui piochent ingratement et suent consciencieusement; ce qu'elles font n'a pas grande porté; cela ne changent rien et pourtant elles ne peuvent faire autre chose. Pourquoi diable suis-je une de ces bêtes-là ? (...) Comment se fait-il que je ne puisse m'empêcher d'écrire ? Je l'ai essayé; je ne puis pas, il y a alors en moi comme une fonction organique qui ne s'accomplit pas; je deviens tout à fait insupportable. Ce qu'il y a de plus bizzare c'est que malgré tout ce que je viens de vous dire sur la perception de l'oeuvre d'art et le découragement où je suis de n'y pouvoir jamais parvenir, je travaille comme si, à ce moment, je pensais tout à fait différemment. Mais, une fois l'entrain passé, je rage de voir combien ce que je fais est si loin de ce que je voudrais faire, de ce qu'il me semble que j'entends dans ma tête. Et le lendemain, je retravaille tout de même.
Des questions que j'ai déjà abordé dans ce journal, ici et là. Ecrire de la musique n'est pas un hobby, encore moins un métier: c'est un besoin.
L'ouvrage de Jean Gallois se complète par un catalogue, une discographie et une bibliographie. En bref, comme disent les jeunes, c'est la totale. Merci au passage à Fanny qui m'avait offert ce livre il y a deux ans... j'ai même fini par le lire !