Chostakovich: Sonate pour alto et piano op 147

La sonate pour alto et piano opus 147 est la toute dernière oeuvre de Dimitri Chostakovich. Ecrite en juin et juillet 1975, le compositeur, qui décède le 9 août 1975, n'a pas assisté à sa création en octobre de la même année.

Dimitri Chostakovitch Essayons un instant d'imaginer l'état d'esprit de cet homme. Il a vécu les purges staliniennes (et manqué de très peu de partir au goulag à cause de sa musique jugée formaliste et petite-bourgeoise par la Pravda). Il a traversé la guerre, fuyant devant l'avancée des Allemands, écrivant deux symphonies Leningrad et Stalingrad où tout le peuple russe reconnaîtra son combat désespéré contre l'envahisseur nazi. Il a écrit des opéras, des musiques de film, des concertos, quinze symphonies, quinze quatuors qui font de lui l'égal de Beethoven, un cycle de préludes et fugues pour piano qu'on ne peut comparer qu'au clavier bien tempéré de Bach. Il n'a plus rien à prouver. Il est atteint d'un cancer, il sent que sa fin est proche, qu'il rejoindra bientôt les nombreux amis qu'il a vu mourir. L'idée de la mort qui le hante depuis des années devient totalement obsessionnelle. Pour lutter contre le désespoir et contre l'oppression du régime soviétique, il n'a que la dérision, cet humour sarcastique et grinçant qui n'appartient qu'à lui, cet art des citations hors de propos qui sont d'abord ridicules avant de nous émouvoir jusqu'aux larmes.

Ce préambule était nécessaire pour comprendre ce qu'est cette sonate (un chef d'oeuvre sombre et dépouillé qu'on ne peut comparer qu'aux toutes dernières pièces de Liszt), et toute l'importance qu'elle a pour moi. Hier soir j'ai pu réaliser partiellement un voeu très cher en donnant le premier mouvement de cette sonate en concert (je la redonnerai peut-être en juin, intégralement cette fois). Je vous propose d'écouter le début: quelques pizzicati qui sonnent réellement à vide, sans énergie, et l'entrée du piano puis de l'alto sur un ligne mélodique descendante:

Je trouve absolument incroyable d'arriver à faire de le musique avec aussi peu de notes ! Une atmposphère de malaise diffus se développe, puis d'un seul coup le drame éclate:

(c'est même tellement dramatique que l'interprète en avale quelques notes !). Mais l'énergie de la révolte s'épuise peu à peu, et après plusieurs épisodes combinant ces deux groupes thématiques, il vous faudra vraiment tendre l'oreille pour entendre la conclusion pianissimo de ce premier mouvement:

Si vous souhaitez découvrir cette Sonate dans une interprétation intégrale et sans comparaison possible avec la mienne (!) je vous recommande le disque de Nobuko Imaï et Roland Pöntinen The Russian Viola dont j'ai déjà parlé dans ce journal:

Commentaires

1. Le dimanche 3 février 2008, 09:41 par azbinebrozer

Merci pour cette mise en appétance ! J'imagine que vous ne pouvez mettre en écoute l'ensemble de l'oeuvre pour des questions de droits ?
Quelle atmosphère en effet ! Je vous avoue avoir pensé à Chostakovitch en regardant le film "La vie des autres".

2. Le dimanche 3 février 2008, 13:02 par Papageno

Oui en effet il y a des problèmes de droits. Même pour diffuser des extraits de disques de 45 secondes sur un site perso et sans pub comme le mien il faut demander l'autorisation au SESAM (www.sesam.org) et payer 24 euros par an. Quant au pourcentage de cette somme qui est reversé in fine aux artistes ...

La vie des autres est un très grand film et bien qu'il se passe en Allemagne de l'Est il évoque assez bien une ambiance qui a dû être celle de tous les pays communistes (mais je soupçonne que les années 1930 en URSS c'était encore pire que dans le film).