Des nouvelles d'IMSLP
Par Patrick Loiseleur le lundi 21 janvier 2008, 22:55 - Musique en Ligne - Lien permanent
J'en parlais dans un précédent billet, l'International Music Score Library Projet, une bibliothèque numérique de partitions tombées dans le domaine public, a été fermée suite à des menaces des avocats d'Universal Edition.
Le sujet a été couvert notamment par BBC News. Bien la réouverture d'IMSLP ne soit pas encore annoncée, plusieurs propositions ont été faites notamment par le projet Gutenberg pour héberger le site, et de l'aide a été apportée notamment par la Free Software Fundation sur le plan juridique.
Qui utilise IMSLP ? Des gens comme moi qui ont déjà des centaines de partitions à la maison, mais aussi et surtout des gens pour qui l'accès à la musique est plus difficile, comme cet internaute qui témoignait hier sur le forum d'IMSLP:
I am an amateur pianist. And I want to say I really apreciate what you have done until now, and I am expecting ISMLP continues. I live in Serena, 400 Km North from Santiago de Chile, and here is very difficult, if not impossible, to find sheet music for study and play. When I found ISMLP it was like a miracle. To have access to such huge quantity of classical works. I felt like dreaming.
Pour connaître la position de l'éditeur vous pouvez consulter cette page (en anglais). En résumé: UE a simplement envoyé un e-mail demandant le retrait de certaines partitions protégées en Europe, puis une lettre d'avocat.
Les administrateurs ont ensuite fermé le site en constatant la difficulté de contrôler le très grand nombre de partitions postées par les utilisateurs (jusqu'à deux cents par jour), étant donné le peu de moyens dont ils disposaient. Enfin il est rappelé qu'Universal Edition propose 1400 titres en téléchargement payant sur le site FreeHandMusic.
Sur cette page on trouvera les pensées plutôt amères d'un administrateur. Notamment une attaque en règle sur le comportement des éditeurs et le bien-fondé des loi de protection intellectuelle sous leur forme actuelle:
They claim they have the right to profit from the work of dead composers for eternity. What they want is not limited copyright. They want perpetual copyright. They want to keep their wallets properly lined with minimum effort. They want to change laws to make this happen, at the expense of the entire society. Like vultures, they want to peck the last bit of meat from the skeleton of dead artists.
What is the purpose of copyright? To stifle creativity by prohibiting access to art that was created more than a hundred years ago? To make life easier for certain people, who are usually not the artists themselves, at the expense of everyone else?
I here challenge them to give even one logical reason, with proof, why, for the benefit of the society, works of dead artists should be protected for more than 50 years worldwide postmortem, a protection these people are claiming. I challenge them, as an artist myself, to give one reason why artists should receive such exemplary treatment, seeing how this is absolutely impossible in any other trade. But I do not expect an answer, because there is none. There is no logical justification. It is simply pure greed. And not even greed on the part of the artists themselves.
Pour mieux comprendre les enjeux de ce débat, comparons avec l'industrie pharmaceutique. Les entreprises disposent de 20 ans pour exploiter une molécule qu'elles ont découverte. Compte tenu du délai de plusieurs années avant la mise sur le marché d'un médicament, cela veut dire qu'elles disposent d'une petite quinzaine d'années pour rentabiliser leurs investissements en R&D. Ce délai a été calibré pour mettre en balance les intérêts des entreprises (qui n'investiraient pas dans la R&D si elles n'avaient pas de perspective de profit) et ceux de la santé publique. Au bout de 20 ans, la molécule n'est plus protégé, les concurrents produisent des médicaments génériques
avec la même molécule, et les prix baissent.
Le marché de la musique fonctionne un peu de la même manière. L'auteur et surtout l'éditeur se voient conférer un monopole, dont la durée est cependant bien plus longue: 70 ans après le décès du compositeur (et non 70 après la date de composition). En pratique les mélodies écrites par Henri Dutilleux dans les années 1950 seront protégées jusqu'en 2080 au moins ! C'est tout à fait énorme, c'est apparu en Europe par le biais de directives de la Commission Européenne qui ont aligné tout le monde sur le droit Allemand (auparavant, le délai était de 50 ans en France, et c'est déjà énorme). Comme chacun le sait le monopole n'est bon pour personne sauf pour ceux qui en bénéficient. Dans le domaine de la musique, cela veut dire: des partitions plus chères et moins disponibles, des disques également plus chers à produire.
Quant aux partitions gratuites
c'est un peu un leurre car il faut bien payer le papier et l'imprimante. Ce n'est pas la gratuité que j'appréciais chez IMSLP (j'aurais bien volontiers payé un abonnement ou fait un don pour l'hébergement) mais la disponibilité de milliers de partitions qui ont disparu des catalogues et sont introuvables dans le commerce.
Pour conclure, je pense qu'Universal Edition se trompe et que des sites comme IMSLP, sous une forme ou une autre, vont perdurer et prospérer dans les années à venir. Les éditeurs de partitions, tout comme les producteurs de disques il y a quelques années, sont devant une nouvelle donne. En effet les partitions libres de droit vont devenir libres tout court, car accessibles universellement à un coût très modeste. Et les nouveaux compositeurs comme moi pourraient préférer publier leur musique eux-mêmes plutôt que se livrer pieds et poings liés aux éditeurs et à la SACEM. Les éditeurs sont à un tournant darwinien de leur existence: il y aura ceux qui s'adaptent au changement et ceux qui n'y survivent pas.
Commentaires
J'ai relayé votre article sur le forum zique où je vais. Les problèmes semblent proches de ceux de l'édition de musique elle-même. J'ai du mal à suivre tout cela... Merci de nous aider ! Bravo aussi pour votre article sur les sites de téléchargements légaux.