Daniel Levitin: This is your brain on music
Par Patrick Loiseleur le mercredi 21 novembre 2007, 22:13 - Livres - Lien permanent
Pourquoi reconnaît-t-on l'air d'une chanson (comme joyeux anniversaire) même lorsqu'il est transposé, déformé, ou même chanté à l'envers ? Qu'est-ce que l'oreille absolue ? Comment notre cerveau peut-il extraire le tempo d'un morceau de musique (ce qui nous permet de taper du pied ou de frapper les mains en rythme) ? Notre mémoire musicale est-elle analytique ou synthétique ? Pourquoi et comment prenons-nous du plaisir à écouter de la musique ? Comment reconnaissons-nous le style musical que nous préférons de manière quasi-instantanée ?
Toutes ces questions intéressent les artistes et les scientifiques depuis longtemps, mais les progrès récent des la neurologie et des sciences cognitives ont permis de les approfondir et d'améliorer de manière spectaculaire notre compréhension du phénomène musical. Le livre de vulgarisation Daniel Levitin, This is your brain on music, introduit et résume un certain nombre de travaux dans ce domaine (y compris les siens).
Nourri par une culture qui va de Haendel au Beatles (et qui vient en partie de son expérience comme musicien, ingénieur du son et producteur), cet ouvrage de vulgarisation, s'il peut agacer par certaines définitions simples voire simplistes, est néanmoins porteur d'une foule d'enseignements. Pour bien comprendre la partie du livre concernant le cerveau et les sciences cognitives, on pourra conseiller de lire d'autre ouvrages généralistes sur le sujet (ceux d'Antonio Damasio comme l'erreur de Descartes par exemple). Pour la partie sur la musique, il faut une culture générale vraiment solide pour suivre toutes les références: heureusement l'auteur a mis en ligne un site internet avec des extraits musicaux de 10 à 30 secondes pour tous les morceaux cités dans le livre.
La thèse fondamentale de Daniel Levitin, sa démarche et on pourrait presque dire son combat, est qu'il faut abolir la distinction entre musiciens (les experts) et les autres (non-experts). Ses travaux sur l'oreille absolue ont montré par exemple que les gens sans éducation musicale (qui ne connaissant pas le nom des notes par exemple) sont tout de même capables de chanter leur chanson favorite dans le ton juste, à plus ou moins un demi-ton près, et que d'une certaine mesure ils possèdent donc l'oreille absolue. Les expériences de Levitin tendent à prouver que même les gens qui disent de rien connaître à la musique ont en fait une oreille très développée, une mémoire très efficace, des goûts bien affirmés, et donc ils ont en main (ou plutôt en tête) tous les outils pour devenir mélomanes ou musiciens.
Pour revenir sur une pièce dont j'ai parlé récemment dans ce journal, Ionisation, de Varèse, il n'est pas nécessaire d'être un expert en musique contemporaine pour l'apprécier. Au contraire ! Les personnes étant très cultivées dans un style musical précis (comme le classique ou le rap) auront davantage tendance à rejeter ce qui est trop éloigné de leur style habituel.
Lors d'un concert comportant une pièce de musique contemporaine, ma cousine (violoncelliste, très cultivée, 15 ans de conservatoire) a fait la grimace tandis que ma tante (qui ne va jamais au concert et ne reconnait pas un do d'un mi) a bien aimé l'ambiance générale, la poésie de ce concerto pour violoncelle de Kancheli. La morale de l'histoire ? Ouvrez les oreilles et oubliez tous vos préjugés !