La quatrième symphonie de Jean Sibelius (quatrième partie)
Par Patrick Loiseleur le dimanche 5 août 2007, 17:03 - Répertoire - Lien permanent
Voici le dernier billet sur la quatrième symphonie de Jean Sibelius. J'ai déjà parlé des premier, deuxième et troisième mouvements de cette oeuvre atypique et attachante.
Le début du finale (en la majeur) affiche une bonne humeur trompeuse. Les violons énoncent un motif gai et insouciant:
Cette impression joyeuse est confirmée par les cloches dont c'est la première apparition dans la symphonie et qui répondent:
Mais si on écoute attentivement, on constate la superposition appuyée de ré bécarre (altos) et ré dièse (violons). Par ailleurs le ré dièse est une note étrangère à l'harmonie de la majeur, et forme un intervalle de triton avec la. Vous vous rappelez combien le triton joue un rôle fondamental dans cette symphonie. C'est la première fois où on entend le triton dans cette position (4è degré augmenté du fondamental). Sibelius semble avoir trouvé un moyen de résoudre cette difficulté en présentant le ré dièse comme une simple inflexion mélodique, qui se résout rapidement sur le mi (dominante de la majeur).Surtout, le ré dièse est beaucoup trop appuyé pour ne pas déstabiliser la tonalité.
Le violoncelle soliste (qui jouait un grand rôle dans le premier mouvement) revient pour énoncer un thème volubile et même futile:
Ce premier groupe de thème est développé par les cordes et les bois jusqu'à une première rupture. Mesure 123, le thème initial revient, au cor, mais brutalement transposé en mi bémol:
Autrement dit les rôles de la et mi bémol (ré dièse) sont inversés. Impossible de trouver deux tonalités plus éloignées: si l'on suivant sagement le cycle des quintes comme on l'apprend au conservatoire, il faudrait moduler pas moins de 7 fois pour arriver de la majeur à mi bémol majeur. A partir ce ce point de rupture, les basses commencent à glisser sur une descente chromatique, tandis que les deux tonalités luttent. On arrive à un choc frontal des deux accords, répété pas moins de cinq fois:
La note des basses (do # = ré b) servant de pivot entre la majeur (la - do# mi) et mi b (mi b - sol - si b - ré b).
L'ambiance de la fête étant définitivement gâchée, on passe à un deuxième groupe de thèmes, en blanches (donc plus lent bien que le tempo soit le même), d'un chromatisme assez torturé (je craindrais de vous ennuyer avec le détail des progressions harmoniques qui sont très fouillées)
Le finale de cette symphonie suit une forme sonate stricte et bien équilibrée: exposition (premier puis second groupe de thèmes), ré-exposition et coda. Lors de la ré-exposition, les bascules entre la majeur et mi bémol majeur sont plus fréquentes, ces qui débouche sur un violent climax orchestral, indiqué fff où les deux thèmes des deux groupes se superposent. Notons par exemple la transformation de l'aimable intervalle ré# - mi (seconde mineure) revient sous forme renversée (septième augmentée), et de manière beaucoup plus menaçante:
Après de tels coups de boutoir harmoniques et mélodiques, il est impossible de recoller les morceaux. On entend des lambeaux du finale, entrecoupés par des silences de plus en plus envahissants. Ce sont finalement les cordes, pianissimo et dans le grave, qui concluent sur un accord de la mineur.
Lors de la première en avril 1911 à Helsinki, cette oeuvre difficile a été reçue plutôt froidement par un public désorienté, qui n'y retrouvait rien de ce qu'il aimait dans les poèmes symphoniques et dans trois premières symphonies de Sibelius (des formes classiques, des harmonies tonales, une couleur typiquement "finlandaise", des thèmes "héroïques"). Bien que sa construction extrêmement rigoureuse se révèle comme une évidence après analyse, ses audaces harmoniques, stylistiques et orchestrales ne peuvent que désorienter lors de la première audition. Sibelius a déclaré: Cette musique ne peut se comparer à rien. Elle peut être considérée comme une protestation contre les tendances musicales qui prévalent actuellement, surtout en Allemagne où la musique instrumentale est devenue une opération purement technique, du genre travaux publics, s'efforçant de dissimuler son vide intérieur derrière un énorme appareillage mécanique
. N'oublions pas que nous sommes à l'époque de la Huitième de Mahler et des Gurre-Lieder de Schönberg ! Un autre remarque de Sibelius à Walter Legge qui lui demandait pourquoi il n'avait pas poursuivi dans cette voie (la Cinquième Symphonie est en effet beaucoup moins torturée): Au-delà, c'est la folie ou le chaos
. Les citations sont tirées du livre de Marc Vignal ("Jean Sibelius", Fayard, 2003) qui est très bien et dont j'ai déjà fait la pub dans ce journal.
Pour finir, je vous avouerai que la Quatrième n'est pas, des symphonies de Sibelius, celle que j'aime le plus. Son côté expérimental est fascinant, mais ma préférence personnelle va à la Deuxième pour la lumière qui s'en dégage et ainsi qu'aux Sixième et Septième pour leur hauteur spirituelle, leur intériorité qui ne peut se comparer qu'à de très rares oeuvres comme les derniers quatuors de Beethoven.
Commentaires
Quel plaisir de lire ces billets sur une oeuvre singulière de Sibelius (sans soute mon compositeur préféré). J'ai également lu l'ouvrage de Marc Vignal et assisté à un concert-conférence à Helsinki avec lui. Je pense que dans une deuxième vie, je serai musicienne...
Clara
Je prévois d'assister à l'intégrale des symphonies de Sibelius à la salle Pleyel en novembre 2007.
Los Angeles Philharmonic
Esa-Pekka Salonen : direction
Est-ce une bonne distribution ?
www.sallepleyel.fr/franca...