La quatrième symphonie de Jean Sibelius (troisième partie)
Par Patrick Loiseleur le dimanche 17 juin 2007, 22:00 - Répertoire - Lien permanent
Nous avons déjà parlé dans ce journal du premier mouvement et du deuxième mouvement de cette énigmatique symphonie, la plus torturée mais aussi la plus attachante du célèbre compositeur finlandais.
Comme pour le quatuor à cordes "Voces Intimae", c'est dans le mouvement lent de cette quatrième symphonie, indiqué Il tempo largo qu'on trouve le coeur véritable de l'oeuvre, le sommet émotionnel, la clé. Ce drame intime ne s'expose pas immédiatement, il se chuchote à l'oreille d'auditeurs préparés par les deux premiers mouvements. Ce sont les deux flûtes accompagné des seuls violoncelles qui énoncent le thème initial, qui semble chercher en vain sa base harmonique:
On retrouve bien sûr le triton la - ré #, ou plutôt l'opposition entre l'accord de la mineur (la - do - mi) et la note ré #, étrangère à cette tonalité, qui enclenche la modulation. Rien n'indique ici la tonalité du morceau (ut # mineur), qui ne sera esquissée que vers la mesure 8. Le parallèle s'impose entre ces 8 premières mesures et le début de la Sonate pour piano Op 1 d'Alban Berg en si mineur, contemporaine puisqu'elle date de 1910: la tonalité n'est pas encore officiellement abolie, cependant on touche aux limites extrêmes du système de modulations basé sur le cycle des quintes et les 24 tonalités majeures et mineures, qui a régné sans partage sur la musique occidentale durant quatre siècles. 1911, année d'Elektra (Richard Stauss) mais aussi du Pierrot Lunaire (Arnold Schönberg) est véritablement une année charnière, et Jean Sibelius lui aussi s'est retrouvé au bord du gouffre. Soit dit en passant, c'est aussi la preuve que les préjugés qui voient en lui un compositeur passéiste, comme Rachmaninoff, sont privés de tout fondement. Cependant, Sibelius n'a visiblement pas sauté dans le vide car sa cinquième symphonie revient à des formes plus classiques et à une harmonie franchement tonale.
Après ce début très éprouvant psychologiquement, les cors (mesure 9) semblent apporter un peu de réconfort, avec un magnifique choral en la majeur:
Ce deuxième thème, basé sur un rythme régulier et sur des quintes et quartes ascendantes, contraste avec l'inquiétude chromatique du premier. Il faudrait véritablement analyser mesure par mesure et presque accord par accord cette musique très dépouillée et très élaborée en même temps. Ce journal n'est pas l'endroit pour le faire. Notons seulement les harmonies incertaines, l'orchestration minimaliste, l'importance des instruments graves (contrebasses, violoncelles et altos, bassons) et des instruments solistes. Le deuxième thème, présenté cette fois en ut # mineur, va revenir plusieurs fois, jusqu'à un point culminant, sorte de marche funèbre, le seul fortissimo de ce largo (et le seul passage où trompettes et trombones sont employés):
Une fois ce climax atteint, tout est dit, il ne reste qu'à conclure. Les altos tiennent la note de do # jusqu'à la fin (14 mesures, ce qui est très long compte tenu du tempo). Le thème initial revient plusieurs fois, sans énergie, puis descend jusqu'aux violoncelles et contrebasses:
Ce thème est transposé sous la forme: sol la si ré do #. Autrement dit un accord de sol majeur (la tonalité de la plus éloignée de do # si l'on suit le cycle des quintes) qui vient en dissonance, mais finit non par se résoudre, mais plutôt se fondre, se dissoudre dans le do #. C'est fini, nous n'avons plus d'énergie, même pas pour pleurer. Le largo se conclut non sur un accord mais sur une seule note, sur ce do # murmuré par violons, altos et cors à l'unisson.
Je reviendrai encore sur cette symphonie dans ce journal, pour parler du Finale mais aussi de la structure d'ensemble, des liens et des rapports entre les mouvements. N'hésitez pas à partager avec les lecteurs de ce journal vos impressions musicologiques ou discographiques sur cette oeuvre fascinante.